Formidables gros mots
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Sur un texte pétillant d’intelligence de Matéï Visniec, les jeunes comédiens de la compagnie des Ondes donnent un spectacle excellent. Une vraie bonne surprise.
Ah, Avignon et ses bonnes surprises ! Dans la rue, un jeune homme lunaire à la tignasse bouclée me remet un tract en m’expliquant qu’il s’agit d’un spectacle où les mots s’incarnent et dialoguent. Je note que le texte est de Matéï Visniec, plusieurs fois chroniqué dans ces colonnes. Ça y est, mon intérêt est piqué. Le lendemain, j’y vais. Et je tombe sur une merveilleuse surprise : un régal de mise en scène, à la fois simple et inventive comme tout ; un trio de comédiens épatants qui à eux trois doivent totaliser dans les soixante ans ; un texte génial, où l’humour le dispute à la subtilité, et qui amuse le spectateur en faisant appel à son intelligence.
Ainsi, le dialogue entre le mot bien et le mot mal fait ressortir avec malice que ces ceux-là, qui semblent des ennemis mortels, pourraient pourtant s’entendre comme larrons en foire. Hélas, leurs relations allant de mal en pis, leur divorce est bel et bien consommé. Et c’est ainsi pendant un peu plus d’une heure, au cours de laquelle tous ces mots défilent devant nous avec fluidité. On applaudit la mise en scène astucieuse de Denise Schröpfer, qui a su faire de ce matériau non conçu pour le théâtre un véritable spectacle. Le texte de Visniec est en effet un « dictionnaire amoureux des mots ». Il a donc fallu trouver le moyen de « faire théâtre » avec ce foisonnement, et avant cela, sélectionner les mots qui auraient le privilège de figurer sur le plateau : sur les soixante‑dix mots de départ, seule une vingtaine a été retenue. Un véritable casting lexical, en somme.
Les heureux élus se succèdent donc de toutes les façons, la facétieuse équipe utilisant toutes sortes de moyens pour faire exister et lier les mots : musique (Aurélien Vacher, le jeune homme lunaire, joue du violoncelle), chant, jeux d’ombres, comédie… Mais toujours dans une scénographie très simple : un praticable qui dessine quelques cases au sol, des silhouettes découpées, du carton… Mine de rien, le papier est roi.
Maturité et intelligence
Et, si une liberté rafraîchissante souffle sur le plateau, c’est aussi grâce au jeu parfaitement réglé et pourtant très naturel du trio, qui surprend d’autant plus par sa maturité et son intelligence qu’ils ont l’air de sortir du club théâtre du lycée. Impossible de ne pas sourire devant la variété de leurs mimiques. Quel formidable moment que celui des gros mots ! Rébecca Forster se faufile dans un bus et se retrouve toute serrée entre des mots plus gros les uns que les autres. En contrepoint, de l’autre côté du plateau, Aurélien Vacher et Eva Freitas se fendent alors régulièrement d’épouvantables éclats d’un rire gras, que dis-je, dégoulinant de graisse. On jubile.
Mais, par-delà les rires et les joutes virtuoses, c’est un propos politique qui transparaît, comme dans la séquence « discours sans grammaire ». On y voit Eva Freitas articuler, les épaules gonflées par du papier Kraft ® et l’air menaçant, un discours politique sans queue ni tête, dénonciation de la langue de bois et de ses dangers. Remède imparable à la vulgarité et à la bêtise, ce spectacle, petit par les moyens mais superbe par sa réussite, est à voir sans tarder aux Ateliers d’Amphoux. ¶
Céline Doukhan
Moi, le mot, de Matéï Visniec
Compagnie des Ondes
https://fr-fr.facebook.com/compagniedesondes
Mise en scène : Denise Schröpfer
Avec Eva Freitas, Rébecca Forster, Aurélien Vacher
Compositions chansons : Didier Bailly
Création bande-son : Arnaud Delannoy
Création lumières : Alice Astegiani
Scénographie : Camille Briffa et Laurie Cousseau
Chorégraphie : Roberte Léger
Photo : © R. Gualbert
Ateliers d’Amphoux • 10-12, rue d’Amphoux • 84000 Avignon
www.theatre-amphoux-avignon.com
Réservations : 04 90 86 17 12
Du 4 au 27 juillet 2014, les jours pairs à 20 h 20, jours impairs à 21 h 55
Durée : 1 h 10
16 € | 11 €