« Dieu était encore de notre côté »
Par Florence Douroux
Les Trois Coups
C’est un long parcours de résilience dont vient ici témoigner Miguel-Ange Sarmiento, en reconstituant l’histoire douloureuse de la disparition de son grand frère de cinq ans. Où chercher la voie de secours ? Comment la trouver ? Un destin qu’il prend au collet dans un seul en scène particulièrement lumineux. Un coup de maître.
Miguel-Ange Sarmiento n’a que 21 mois lorsque son frère ainé se noie dans un bassin d’eau glacée, à quelques encablures de la maison familiale. Il perçoit tout de l’affolement général et de la violence de la situation. Seule lui manque la capacité de comprendre. C’est un parcours de combattant qui commence. Devenu comédien et chanteur, il trouve son salut sur scène. Mon petit grand frère, mis en scène par Rémi Cotta, est un coup de maître : un récit-catharsis, doux comme une caresse et brutal comme un coup de poing, dans lequel il se jette à cœur perdu.
« Je n’avais jamais imaginé en parler un jour. Et encore moins en public, explique le comédien. « Je n’avais même pas deux ans lorsque s’est produit l’évènement le plus marquant de ma vie. Au fil des années, le manque de souvenirs devenant trop pesant, j’ai ressenti le besoin d’en savoir plus. J’ai enfin osé poser des questions. Des salves de mots ont délivré ma nouvelle mémoire ». Avec pudeur et sincérité, il déplie et relie les souvenirs épars, dans un afflux d’évocations saisissantes.
Un court récit – une heure- dans lequel tout sonne l’urgence. Urgence d’être dit, entendu, compris : maman souriante. Chaise haute. 9 mars 1971. Bassin. Glace. Hermano. Mes deux zombies. Dans une écriture perlée, Miguel-Ange Sarmiento reconstitue petit à petit le puzzle tragique, décrit l’effondrement du paradis. Ce qu’il reste à l’enfant ? La confusion d’un épais brouillard, que seul le chant, pour « couvrir les pleurs de maman et les silences de papa », vient éclairer de lueurs salvatrices.
Petit bijou
Sur scène, un camion d’enfant, un nounours, rien. Ou presque. Il câline un poupon, joue à la marelle, fait la dinette. Et parle de Ma maman. Toute la tendresse du monde vient habiter ces premiers instants. Une danse, une chanson, une gaité sous l’inquiétude qui vient, qui affleure. Il se présente : « Michel », pas « Miguel-Ange », trop difficile à prononcer pour cet « autre enfant », qui lui parlait tous les jours. Voilà. Le drame est annoncé en trois mots. Le voile noir du canevas, devient robe de maman dansante, puis linceul noir et sombre fardeau sur les bras. Car désormais, maman est « cassée », ses yeux sont « glacés ». Il devra faire avec.
Le comédien évolue sur scène avec une expressivité de chaque instant, danse ses mots, nous harponne de son regard clair. Le spectacle est impeccablement rythmé, Claude François et Michel Sardou côtoient Satie sans problème. Le prie-Dieu vient remplacer le camion, tiré, hors de scène, comme le corbillard du grand frère, le « pilote préféré », qui, ce jour-là, ne conduit pas.
Un peu naif ? un peu candide ? sûrement pas. Il ne faut pas se fier à Nounours. C’est toute la réussite du spectacle. Maturité d’adulte, mots d’adulte, ressentis d’enfant au fil d’un jeune quotidien sur lequel le malheur a fait main basse. Il faut autant de distance que d’émotions vives pour jeter sur le drame un regard aussi lucide, et passer la rampe avec une telle évidence. Car quelque chose d’indiscutable a lieu, dans ce récit, qui a la force d’une quête vitale.
Le comédien en effet interpelle, questionne et s’insurge, avec l’insistance de qui doit savoir. Que pouvait faire Dieu ce mardi 9 mars 1971 ? Pourquoi le bonheur a-t-il fait ses valises comme un voleur « à l’abri du regard de maman qui ne se doute de rien » ? D’où vient la force de son père ? Et s’il était tombé, lui, de sa chaise haute, cette « désormais tour d’ivoire » avant que l’accident n’ait lieu ? C’est même au principal intéressé qu’il trouve le courage de s’adresser, celui-là même par qui le malheur est arrivé. Il fallait y aller. Oser.
Des mots bouleversants d’un rare intensité. Exhortation, promesse, supplique : un grand moment de théâtre dans un ultime rendez-vous entre deux frères, celui dont la photo est sur la commode, celui qui jure de ne pas le rejoindre trop tôt. Par la grâce d’un texte magnifiquement écrit et joué, la douleur a changé de voie(x). Elle est devenue un enchantement. 🔴
Florence Douroux
Mon Petit Grand Frère, de Miguel-Ange Sarmiento
Texte et interprétation : Miguel-Ange Sarmiento
Mise en scène et scénographie : Rémi Cotta
Durée : 1 heure
À partir de 12 ans
Théâtre Le Grand Pavois • 13, rue Bouquerie • 84000 Avignon
Du 7 au 29 juillet 2023 (relâche le dimanche) à 14 heures
De 10 € à 19 €
Réservations : 06 65 61 11 74 et en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023
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