Chapeau, monsieur Crombey !
Par Lise Facchin
Les Trois Coups
Assise dans la petite et très coquette salle Roland-Topor du Théâtre du Rond-Point, j’attendais que le spectacle commence en compagnie d’une amie comédienne. Comme tout un chacun, car n’oublions pas que le critique est un spectateur comme les autres, nous lisions le programme du spectacle qui allait bientôt se dévoiler : « Motobécane ». Le curriculum de l’acteur-créateur-auteur du spectacle a dépité mon amie : Premier Prix du cours Simon en 1971 et prix de la Comédie moderne et classique au Conservatoire national. Il faut le reconnaître, il y a de quoi faire bisquer ! Oui, mais une fois le spectacle achevé, l’amertume avait cédé face à l’émotion, et nous avions compris que ces prix étaient tout à fait légitimes. Voir les dix premières minutes de ce spectacle suffit pour comprendre que l’on a affaire à un grand comédien.
Le texte est ambigu et délicat : adapté du Ravisseur de Paul Savatier, il consiste en un monologue prononcé par un homme d’une quarantaine ou cinquantaine d’années, qui est dans une cellule carcérale, car on l’accuse d’avoir enlevé une petite fille, Amandine, et d’en avoir abusé. Le monologue est en réalité le contenu du « cahier de vérité » qu’il écrit en prison, puisque les juges ne lui « croient pas la parole ». Victor, dit « Motobécane » à cause de son moyen de transport de prédilection, est un travailleur de ferme dans un petit village de Picardie. Il est un peu simple, mais il a le cœur sur la main. Alors, quand il rencontre Amandine qui fait l’école buissonnière et qu’elle le supplie de la garder chez lui parce que sa mère fait pleuvoir les coups, il se laisse fléchir et accepte. Il sent pourtant que les ennuis sont au bout du chemin de traverse qu’il arpente, mais comment trahir cette petite Amandine, si mignonne ?
La scénographie est une merveille de simplicité : un plan de bois incliné, un tabouret, et deux éléments (je ne vais pas tout vous dire non plus !) suspendus en fond de scène. La mise en scène suit le même principe. Et, si les premières minutes du spectacle Motobécane est assis en tailleur, on se surprend à penser que, s’il ne se levait jamais, l’acteur serait de taille à relever le défi et nous conquérir malgré tout.
Par saint Genès de Rome *, quel homme ! Une heure et demie de spectacle jouée seul et avec l’accent picard, s’il vous plaît. Une telle sincérité, une telle incarnation, une telle vérité qu’il m’est aujourd’hui impossible de croire que Bernard Crombey n’est pas Motobécane. Les programmes mentent ! Il faut dire que son jeu s’appuie sur un texte magnifique de poésie et d’innocence, de drôlerie et de sensibilité… que le comédien a intégralement composé à partir de l’œuvre de Savatier. D’origine lilloise, Bernard Crombey a souhaité construire le personnage de Motobécane à l’aide de l’accent de son pays et des images qu’il véhicule. On en rit avec des larmes au bout des cils, voire on en pleure franchement.
Alors un conseil, courez-y et faites salle comble tous les soirs à cet artiste vrai et qui porte courageusement à la scène un texte difficile, beau et qui nous submerge de sa sensibilité. Motobécane, c’est peu de dire que je l’aime, lecteur, je l’adore ! Et je ne suis pas la seule, si l’on en croit le baromètre des larmes versées sur les bancs de la salle Roland-Topor depuis le 13 janvier 2009. Ne le manquez pas, c’est tellement rare un si beau spectacle ! ¶
Lise Facchin
* Saint Genès de Rome : saint patron des comédiens.
Motobécane, de Bernard Crombrey d’après le Ravisseur de Paul Savatier
Mise en scène : Bernard Crombrey
Avec : Bernard Crombrey
Collaboration scénographie et lumières : Catherine Maignan, Yves Collet
Théâtre du Rond-Point • rond-point des Champs-Élysées • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Métro : Frankin-D.-Roosevelt (lignes 1 et 9) ou Champs-Élysées – Clemenceau (ligne 13)
Du 13 janvier au 15 février 2009 à 20 h 30, dimanche à 15 h 30, relâche le lundi et le 18 janvier 2009
Durée : 1 h 30
26 € | 24 € | 20 € | 16 € | 14 € | 10 €