Éprouvante traversée
Par Marion Le Nevet
La fresque épique sur l’immigration du metteur en scène congolais Dieudonné Niangouna mérite une attention toute particulière en ces temps de non-solidarité internationale. Pourtant, son « Radeau de La Méduse » nous laisse sur la rive.
Dieudonné Niangouna s’est inspiré du tableau de Théodore Géricault et de son image spectaculaire de naufragés agonisants, pour créer sa pièce. Dans Nkenguegi, l’auteur et metteur en scène de transpose la situation scandaleuse des voyageurs clandestins en Méditerranée sur ce motif entré dans l’imaginaire collectif, qu’il extrapole. Il entend ouvrir la réflexion. Il veut permettre à chacun d’y prendre part, tout en créant des images fortes, dans une mise en scène marquée par l’actualité. Il s’efforce de dépasser la surface des événements, tout en s’adressant au cœur.
Cependant, le tableau romantique est si reconnaissable et évocateur que l’on peut se demander s’il s’agit d’une fausse piste. L’œuvre est tellement connue qu’elle porte avec elle une lourde charge symbolique, au risque de tendre vers la « surreprésentation ». Sa reconstitution est l’occasion d’une mise en abyme, qui légitime la présence d’écrans, tout en créant une polyphonie malheureuse. Car Dieudonné Niangouna mêle un discours extrêmement concerné sur la place de l’Homme dans un monde commun, des tirades grandiloquentes, des intermèdes poétiques, gores et nébuleux sur le naufrage du corps et son délitement, ainsi que des conversations affectées de fin de soirée, faciles, et des gags plus ou moins amusants. Ce remous nous noie. Le discours nous égare, les partis pris dramaturgiques nous laissent perplexes et la fragilité du jeu nous plonge dans un grand malaise.
Si le texte de Dieudonné Niangouna nous parvient difficilement, il aborde pourtant des points de vue passionnants que l’on souhaiterait davantage mis en exergue. Mais le message se dilue dans des intrigues à tiroirs. Les trois heures de représentation semblent interminables, en dépit de quelques scènes réussies. Il faut notamment souligner la simplicité et l’efficacité de la scénographie. La lumière sophistiquée donne également une couleur juste à chaque tableau.
Certes, Dieudonné Niangouna est un grand auteur et metteur en scène de son époque. Son approche très personnelle d’un sujet aussi essentiel, sa capacité de s’emparer des faux-semblants de notre époque, ainsi que l’originalité de sa narration le prouvent. Mais la prolifération d’effets et la longueur de ce théâtre d’initié, manquant de concision et de précision, nous égarent au cours de la traversée, nous imposant une sorte d’auto-flagellation pas franchement réparatrice. ¶
Marion Le Nevet
Nkenguegi, de Dieudonné Niangouna
Éditions Les Solidaires intempestifs
Texte et mise en scène : Dieudonné Niangouna
Avec : Laeticia Ajanohun, Marie-Charlotte Biais, Clara Chabalier, Pierre-Jean Etienne, Kader Lassina Touré, Harvey Massamba, Paythio Matoudidi, Daddy Kamono Moanda, Mathieu Montanier, Criss Niangouna, Dieudonné Niangouna
Collaboration artistique : Laetitia Ajanohun
Création musicale et musiciens : Pierre Lambla, Armel Malonga
Scénographie : Dieudonné Niangouna
Régie générale : Nicolas Barrot
Vidéastes : Wolfgang Korwin, Jérémie Scheidler
Lumière : Thomas Costerg
Son : Félix Perdreau
Régie plateau : Papythio Matoudidi
Costumes : Vélica Panuru
Création masques : Ulrich N’Toyo
Stagiaire à la mise en scène : Maxine Reys
Le Grand T • 84, rue du Général Buat • 44001 Nantes
Réservations : 02 51 88 25 25
Du 26 au 28 avril 2017, à 20 heures ou 20 h 30
Durée : 2 h 50
De 4 à 30 €