Souffler, c’est danser ?
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Emballée par « Hok », donné il y a un an quasiment jour pour jour au Mans, j’en attendais peut-être trop de cette nouvelle chorégraphie d’Alban Richard.
Cette « recherche autour de la période médiévale » était pourtant alléchante, avec une « pièce où la danse et la musique sont intrinsèquement liées [qui] nous plonge dans les œuvres musicales et poétiques d’une douzaine de ballades signées des plus illustres troubadours et trouvères médiévaux ». De fait, le spectacle rassemble cinq danseurs et trois musiciennes de l’ensemble Alla francesca. Pour les mettre en scène, Alban Richard prend le parti d’une absence totale de décor : noirs sont les sobres vêtements et le fond de scène.
La lumière viendra (pas assez tôt, hélas) de la musique. Avant cela, deux danseurs, à défaut d’insuffler la vie sur le plateau, soufflent, exhalent et halètent. Les sons qu’ils produisent de la sorte sont amplifiés et diffusés dans des enceintes. Mais tout cela semble bien longuet.
Il suffit en revanche d’entendre les voix extraordinaires des trois chanteuses pour entrer dans une dimension mystérieuse et sensuelle. On découvre ainsi tout un répertoire d’une grande richesse, auquel Vivabiancaluna Biffi, Christel Boiron et Brigitte Lesne donnent vie avec une aisance et une précision remarquables. On regrette juste de ne pas vraiment en saisir les paroles, ou de ne pouvoir les lire, d’autant plus qu’on perçoit bien qu’il doit exister un lien entre les textes et la danse.
Du côté de la chorégraphie, c’est moins l’extase
Du côté de la chorégraphie, c’est moins l’extase. Quand les cinq danseurs sont présents en même temps sur le plateau, on se dit qu’il va se passer quelque chose : las, ils ne dansent qu’un par un, tandis que les autres marchent lentement. Un peu comme si la danse vouait un respect presque craintif à la musique. Certes, on peut dire qu’à la pureté des lignes mélodiques répond la sobriété de la chorégraphie, mais ce côté ascétique peine tout de même à susciter l’enthousiasme.
Un tournant s’amorce cependant vers le milieu de la pièce, quand, parallèlement à un effet de réverbération sonore qui n’ajoute pas grand-chose à la musique, la danseuse Mélanie Cholet se lance enfin dans un solo percutant.
Percutant, c’est d’ailleurs une litote pour qualifier le roulement terrible de basses et de percussions qui, alors, monte, cogne et vibre dans la poitrine à la limite du supportable. Plaquée sur mon fauteuil, j’ai la sensation, euh… oppressante, d’avoir un joueur de grosse caisse assis sur chaque genou – et un autre sur les épaules. Les danseurs, eux, sont à ce moment-là animés d’une véritable frénésie, comme s’ils nous donnaient une version dansée du Jugement dernier, côté damnés. Torsions, pirouettes, saccades… Mais ces messieurs-dames ne s’effleurent jamais, dans ce Moyen Âge courtois et spirituel.
Bref, on reste sur sa faim, envoûté par les polyphonies d’Alla francesca, mais pas convaincu par une chorégraphie qui manque finalement de chair et de sensualité. ¶
Céline Doukhan
Nombrer les étoiles, d’Alban Richard
Conception et chorégraphie : Alban Richard
Crée et interprété par : Romain Bertet, Mélanie Cholet, Max Fossati, Laurie Giordano, Yannick Hugron
Ballades médiévales des xiie et xive siècles : ensemble Alla francesca
Chant et vièle à archet : Vivabiancaluna Biffi, chant : Christel Boiron, chant, harpe‑psaltérion et percussions : Brigitte Lesne
Lumière : Valérie Sigward
Son : Félix Perdreau
Programmation Patchs Max / MSP : Volker Böhm
Conseillère en analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé : Nathalie Schulmann
Assistante à la direction artistique : Valérie Sigward
Photo : © Agathe Poupeney
L’Espal • 60‑62, rue de l’Estérel • 72058 Le Mans cedex 2
Réservations : 02 43 50 21 50
Le 20 septembre 2016 à 20 heures, dans le cadre du festival Autre regard
Durée : 1 h 10
Tarif unique : 9 €