Les beaux ténébreux
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Huis clos surréaliste aux influences cinéphiles, « Oktobre » surprend par la force de ses partis pris esthétiques et, en dépit de quelques longueurs, envoûte quand le numéro cède place à l’illusionnisme. À suivre !
Entrez, entrez sous le chapiteau ! Vous parcourrez un labyrinthe au parterre herbeux, dont les sombres parois exhalent des odeurs étranges de temps enfermé. Vous vous apprêterez sous le regard d’un gardien bizarre à pousser les portes du ténébreux et beau royaume d’Oktobre. Mais gare, que nul n’entre ici s’il est géomètre. Car ce monde-là comme ceux que créèrent jadis les surréalistes échappe aux geôles de la pensée. En effet, les objets et les figures humaines y apparaissent, se multiplient, s’abolissent. Elles déjouent en tout cas la logique. Le temps, comme la balle de jonglage, suspend son vol. Et il semble parfois, comme dans un rêve, que l’on a déjà vécu une scène, ou sa jumelle difforme.
Au-delà de la performance individuelle des interprètes, c’est sans nul doute la cohérence de ce monde onirique qui fait l’intérêt de la proposition. Certes, Eva Ordonez Benedetto excelle au trapèze, comme Yann Frisch bluffe par son talent de jongleur-prestidigitateur. Mais quand chacun tour à tour déploie ses talents, on retrouve quelque chose de plus convenu formellement. Il faut changer d’échelle, envisager le spectacle en entier pour en saisir la qualité, ce d’autant qu’il joue sur les échos.
Que les ténèbres soient !
Pour cette raison, les régisseurs sont tout autant les orfèvres de cette vision que les interprètes visibles sur le plateau. Si on peut trouver le choix des musiques un peu attendu, et être gêné par la sursonorisation, le travail sur la lumière est véritablement remarquable ! Il crée de belles ténèbres, fait surgir des harmonies moirées, des tableaux en rouge et noir. Sans lui, pas d’illusion, pas de magie. On pense même au travail de photographie accompli dans certaines œuvres de Buñuel, ou plus récemment dans le film Blancanieves. Quel appauvrissement engendrerait la disparition de ces artistes si souvent intermittents ! La référence au cinéma affleure aussi dans la gestuelle parfois expressionniste, ou saccadée comme le serait la trop vieille bande d’un magnétoscope.
Cirque qui franchit les frontières du cirque pour lorgner vers le 7e art, mais aussi vers le théâtre, Oktobre nous affranchit de la raison pour nous effrayer par sa noirceur, nous fasciner comme un obscur objet de désir. On regrette simplement que les talents de Jonathan Frau ne soient pas davantage exploités, et que le spectacle présente quelques temps morts. Ces jeunes gens-là, en tout cas, ont mérité la reconnaissance que leur a apportée l’édition 2012-2013 de Circus Next. Ils ont tous des idées et du talent : leur avenir est prometteur. ¶
Laura Plas
Oktobre, de Florent Bergal, Eva Ordonez Benedetto, Yann Frisch, Jonathan Frau
Cie Oktobre
Courriel : oktobreoktobre@gmail.com
Mise en scène : Florent Bergal
Avec : Eva Ordonez Benedetto, Yann Frisch, Jonathan Frau
Régie générale : Yannick Briand
Régie plateau : Zoé Bouchicot, Louise Bouchicot
Costumes : Florinda Donga
Œil extérieur pour la magie : Raphaël Navarro
Regard olympique : Pauline Dau
Aide à la dramaturgie. : Bauke Lievens
Construction : Jörn Roesing
Photo : © Daniel Michelon
Espace Vincent-de-Paul, île Piot • chemin de l’Île‑Piot • 84000 Avignon
Réservations : 04 32 76 20 51
Du 10 au 26 juillet 2014 à 21 h 30, relâche les 14, 18, 21 et 25 juillet
Durée : 1 h 15
Dès 8 ans
14 € | 10 € (carte Off) | 7 € (moins de 10 ans)