« Ombres portées », Raphaëlle Boitel, cie L’Oubliée, POC, Alfortville

Oubliée-Raphaëlle Boitel © christophe-raynaud-de-lage

À bout portant

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Que projette notre ombre ? Rythmée par des performances d’acrobates, habillée de rock, la quête des personnages d’« Ombres portées » nous immerge dans les mystères de la psyché humaine. Et c’est éclairant.

Dans un tourbillon, une femme raconte un rêve récurrent. Dès ce tableau initial – sublime – un secret nous est révélé à mi-mots et à mi-gestes. De nombreuses histoires vont alors s’esquisser, celle d’une famille déchirée par des non-dits et ses dommages collatéraux. Scènes individuelles et collectives forment un portrait de la cellule familiale bien sombre, mais non sans lueurs d’espoir, car à partir d’un drame, Raphaëlle Boitel honore le courage tapi dans la peur.

Cirque, danse ou théâtre ? Sans doute les trois à la fois, et toujours avec poésie, car Raphaëlle Boitel fouille les tréfonds de nos âmes à la lisière des disciplines pour mieux exalter l’essence des choses. Toutefois, avec du texte et des personnages stylisés, ce spectacle-là est plus narratif que les précédents.

Frictions

Outre la dimension théâtrale, on retrouve son identité visuelle très inspirée du cinéma, auquel elle est très attachée. Ici, parmi les références, on repère Un air de famille (pour l’humour), Festen (pour le drame), mais également l’univers des polars des années 50 ou de la science-fiction. Raphaëlle Boitel, qui aime allier des possibilités physiques hors normes au service d’un propos dramaturgique, a besoin que le « mouvement soit plein, rempli, nourri de sens ».

Théâtral, organique, Ombres Portées est donc aussi très visuel, nourri de somptueux clairs-obscurs. Cette réflexion sur les destins qui basculent nous plonge dans une poétique kafkaïenne, avec l’expressionnisme en ligne de mire. Coincés dans des carrés de lumières, les personnages se débattent contre leurs démons. Contre-jours, latéraux et poursuites mobiles sculptent l’espace lacéré de lignes graphiques, comme autant de lames tranchantes.

Raphaëlle Boitel suggère l’inexploré, en insistant sur les contours pour mieux révéler des faces cachées. Des abymes. Les noirs sont profonds. Des creux et déliés émane un condensé de nos états d’âmes, tandis que les silhouettes tentent de discerner ce que l’une d’entre elles semble dissimuler, le vrai du faux, le bien du mal, la connaissance de la conviction. On est ébloui et touché.

L’aérien pour s’affranchir

Cette proposition, à l’esthétique soignée et riche de significations est aussi remarquable sur le plan technique. À chaque spectacle, la compagnie invente de nouveaux agrès. Même avec corde lisse et volante ou accrodanse, les personnages évoluent de façon originale, dans une très belle chorégraphie.

© Ricardo-S. Mendes

Longes, sangles évoquent les liens qui étouffent. Et la grâce de l’acrobatie suggère la fragilité des équilibres. Entre techniques aériennes et contorsions, les personnages tentent de se lester de la culpabilité, d’échapper à l’aveuglement et la servitude. Ils apprivoisent l’apesanteur et cherchent, ensemble, un chemin vers la lumière. La liberté.

Musicienne des corps, Raphaëlle Boitel s’appuie sur les compositions inspirées d’Arthur Bison. Sa musique accompagne magnifiquement leurs élans. D’ailleurs, pour cette création à six mains, saluons le travail de son talentueux complice Tristan Baudoin, aux lumières et à la scénographie.

Ombres-portées-cie-L-Oubliée-Raphaëlle-Boitel-©-Ricardo-s.-Mendes
© Ricardo-S. Mendes

Enfin, tous les interprètes sont virtuoses. Les membres de la compagnie sont excellents, peaufinant leur répertoire, de spectacles en spectacles, ne se contentant pas de prouesses physiques. Parmi les dernières recrues, Alba Faivre est sensationnelle. On retrouve ici trois étudiants de la 32promotion du CNAC, distribués à l’occasion du Cycle de l’Absurde, qui ont particulièrement touché la metteuse en scène, par leurs technique et potentiel expressif. Depuis, ils ont encore gagné en maturité.

Actuellement à l’affiche avec pas moins de quatre spectacles (et d’autres projets !), ne pas manquer l’occasion de découvrir cette compagnie majeure, à l’écriture épique et originale. Même si elle n’a jamais autant dit avec des mots, tout fusionne encore une fois. Peut-être pour davantage libérer la parole ? Quoi qu’il en soit, ces ombres-là révèlent de bien belles lumières. 🔴

Léna Martinelli


Ombres portées, de la cie L’Oublié(e)

Site de la compagnie
Mise en scène et chorégraphie : Raphaëlle Boitel
Avec : Alba Faivre, Vassiliki Rossillion, Tia Balacey, Mohamed Rarhib, Nicolas Lourdelle, Alain Anglaret
Collaborateur artistique, lumière, scénographie : Tristan Baudoin
Musique originale : Arthur Bison
Machinerie, accroches, agrès, sécurité : Nicolas Lourdelle
Espace sonore, régie son : Nicolas Gardel
Durée : 1 h 10
Dès 12 ans

Le !POC! • Parvis des Arts • 94140 Alfortville • 01 58 73 29 18
Le 24 novembre 2022

Tournée 2023 :
• Les 5 et 6 janvier, L’Agora, Pôle national cirque de Boulazac
• Du 19 au 21 janvier, Théâtre National de Nice, en collaboration avec la BIAC
• Le 24 janvier, La Rampe, scène conventionnée d’Echirolles
• Les 27 et 28 janvier, Théâtre de Lons-le-Saunier, scène du Jura, scène nationale
• Les 31 janvier et 1er février, Scène nationale de Bayonne
• Le 9 février, Le Carré Magique, Pôle national cirque de Lannion

À découvrir sur Les Trois Coups :
La Chute des anges, de Raphaëlle Boitel, par Léna Martinelli

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant