Tension maximale
Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups
Arnaud Anckaert met en scène « Orphelins », une pièce de l’Anglais Dennis Kelly qui plonge le spectateur dans l’angoisse et interroge notre rapport à l’autre.
Cela commence à s’ébruiter : Dennis Kelly est l’un des auteurs les plus intéressants du moment. Ce dramaturge anglais né en 1970 sait à peu près tout faire : porter un regard lucide sur le devenir de nos sociétés, tenir le spectateur en haleine par des pièces à la construction savante, créer des personnages complexes et inquiétants, entre fragilité et violence. Ses œuvres commencent à être jouées en France : Arnaud Anckaert a lui-même mis en scène Débris en 2011, Alexandre Lhomme en a fait autant cette année à Paris avec Love and Money, et le Off 2013 propose également, à l’Atelier 44, Après la fin, dans une mise en scène de Martial Lalancette.
Orphelins (2009) partage avec cette dernière pièce une oppressante atmosphère de huis clos. Le dîner de Helen et de Danny est interrompu par l’apparition du frère de Helen, Liam. Celui-ci, hagard et couvert de sang, prétend avoir porté secours à un jeune homme victime d’une agression dans la rue. Le quartier est peu sûr. Danny a lui-même eu une altercation avec de jeunes Pakistanais quelques jours auparavant. Mais il apparaît bien vite que Liam, qui a des fréquentations louches et un passé pas très net, n’a pas dit toute la vérité. Au fil de ses récits, il ne cesse de changer de version. Qui est cette mystérieuse victime qui a soi-disant disparu ? A-t-elle besoin d’aide ? Faut-il appeler la police ? Ou régler la question soi-même ?
Climat d’inconfort
Les pièces de Dennis Kelly sont fortement ancrées dans la réalité sociale d’aujourd’hui. Mais elles soulèvent toujours aussi des problèmes existentiels et philosophiques. La question est ici celle du poids relatif des liens familiaux et des valeurs aussi bien morales que civiques. Dans le contexte d’une société anglaise où les communautés s’ignorent, se craignent, que devient le civisme de Danny ? « Est-ce à cela que se résume le monde, qui on connaît et qui on ne connaît pas ? », demande-t‑il. Pour Helen, seul compte l’intérêt de son frère. En effet Helen et Liam ont perdu leurs parents très jeunes. Elle s’est toujours montrée protectrice à son égard, a toujours voulu le soutenir en toutes circonstances. Jusqu’où Danny sera-t-il prêt à aller pour venir en aide à son beau-frère ?
Arnaud Anckaert a très bien su percevoir et restituer la force du texte, installant d’emblée un climat d’inconfort sur le plateau. La scénographie y contribue en brisant discrètement la géométrie des lignes. Une lumière de plus en plus crépusculaire, un travail intéressant sur le son, installent sur le plateau une tension palpable. Tout cela ne serait rien sans le jeu précis et subtil des comédiens, à la hauteur de la complexité et des contradictions de leurs personnages. L’engrenage dans lequel ceux-ci se trouvent pris distille une intensité dramatique qui va crescendo.
Un personnage inoubliable
Si le spectateur est à ce point saisi, c’est peut-être parce que la pièce fait ressurgir des questions – le conflit entre liens familiaux et lois de la cité, on le trouve déjà dans la tragédie grecque – aussi anciennes que l’histoire du théâtre. C’est aussi grâce à l’écriture sans concession de Dennis Kelly, qui creuse loin dans la psychologie des personnages (Helen menaçant de ne pas garder l’enfant qu’elle attend). C’est enfin dû au talent de Fabrice Gaillard, assez stupéfiant dans le rôle de l’influençable et faible Liam. Veulerie, inconscience, attachement maladif à la sœur, il réussit à tenir tout cela ensemble d’un bout à l’autre du spectacle avec une maestria de grand comédien, et crée un personnage inoubliable. ¶
Fabrice Chêne
Lire aussi la critique de Sarah Elghazi.
Orphelins, de Dennis Kelly
Texte disponible chez l’Arche éditeur
Traduction : Philippe Le Moine
Production : Théâtre du Prisme
Théâtre du Prisme, compagnie théâtrale • 12, rue Devred • 59650 Villeneuve-d’Ascq
http://www.theatreduprisme.com/orphelins.html
Mise en scène : Arnaud Anckaert
Avec : Valérie Marinese, Fabrice Gaillard, François Godart
Création lumière : Olivier Floury
Création son : Juliette Galamez
Costumes : Alexandre Charles
Construction et accessoires : Alexandre Herman
Sculpteur : Jacques‑Olivier Molon
Présence Pasteur • 13, rue du Pont-Trouca • 84000 Avignon
Réservations : 04 32 74 18 54
Du 8 juillet au 30 juillet 2013 à 17 h 45, relâche le 23 juillet
Durée : 1 h 30
15 € | 12 €
Tournée :
- Théâtre du Nord, C.D.N. de Lille, du 4 au 12 décembre 2013
- Commune de Bauvin, le 14 décembre 2013
- Scènes mitoyennes de Caudry, le 5 avril 2014
- La Chapelle à Rouen, du 10 au 12 avril 2014
- Centre culturel Georges-Brassens à Saint-Martin-Boulogne, les 15 et 16 avril 2014