Des bibelots d’inanité sonore
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Le Théâtre Les Ateliers de Lyon présente actuellement « Parlement », le « solo à plusieurs voix de Joris Lacoste ». Surprenant.
Difficile de parler de ce spectacle sans dire d’où il vient : au départ, un collectif constitué de poètes, acteurs, artistes plasticiens, musiciens, chorégraphes, réalisateurs de radio, metteurs en scène… qui décide de recueillir les enregistrements de paroles dites dans des occasions les plus diverses. Il collecte ainsi des extraits de plaidoiries, de discours politiques, de prêches religieux, de commentaires sportifs, de causeries amoureuses, conversations de bistrot, messages de répondeur, publicités, etc. Et il les trie en fonction non pas de leur sens ou de leur origine, mais selon des critères auditifs et musicaux, en fonction des rythmes, de la cadence, des compressions, des emphases, des répétitions, des espacements, des timbres, des tessitures, etc.
Ainsi, ils se livrent à un travail très technique et objectif sur un matériau humain qu’ils nous restituent dans des formes inattendues : conférences, chorale, collages, installations, performances, etc. Nous offrant au passage de redécouvrir ce qu’est le langage, de nous le réapproprier par la pure sensation en mettant en veilleuse notre capacité à chercher du sens, des enchaînements, une progression… En laissant à la porte aussi tout ce qui nous sert d’habitude au théâtre à nous laisser emporter : émotions, sentiments…
Car, bizarrement, pour nous tous qui vivons dans un monde sursaturé de bruits et de mots que nous n’écoutons même plus, réentendre en vrac cette masse de paroles réduites à du bruit nous permet d’en réinventer la richesse et les infinies variations.
Sur la scène nue des Ateliers, la comédienne Emmanuelle Lafon, pantalon blanc et tee-shirt vert, tenue de ville, donc, debout face au public et à son seul interlocuteur, le micro. Et, en cabine, des techniciens son qui donnent de l’écho, du volume, malaxent ce matériau brut. Durant une heure, elle accomplit une performance absolument éblouissante, une prouesse avec sa voix et uniquement sa voix, ce qu’elle appelle elle-même une véritable acrobatie de la parole. Avec ce paradoxe qu’elle fait accomplir des sauts périlleux, des jongleries, des pas de deux, des arabesques, sans aucun geste du corps, à sa bouche, sa langue, son larynx et tous les organes sollicités par la création de sons : les bras sont tranquilles ou tiennent le micro. Pas de mimique (sauf celles nécessitées par la fabrication d’un son particulièrement spécial), ou d’expression d’un quelconque sentiment, non plus. D’une sobriété monacale, donc.
La parole dans tous ses états
Ce qu’on entend, ce sont des bribes, des fragments d’où surgissent pourtant des sonorités familières : voix de gares ou d’aérogares, accents québécois dont la seule reconnaissance met les spectateurs en joie, langues étrangères, accents typiques d’une engueulade, mélodies… Mais à peine a-t‑on eu le temps de reconnaître, d’avoir l’impression de comprendre, de suivre un fil, qu’Emmanuelle Lafon est déjà partie ailleurs, dans un autre contexte, un autre continent, nous laissant courir derrière avec un rien de malice.
Il y a là une grande maestria, un travail remarquable, tiré au cordeau, d’une exigence incroyable et sans doute aussi une volonté de dire, pour le coup, quelque chose. Mais, avec ce type d’expérience, on est davantage dans le registre de la musique abstraite ou dans celui de l’art contemporain que dans celui du théâtre. C’est là la limite de l’exercice. ¶
Trina Mounier
Parlement, de Joris Lacoste
Une création de L’Encyclopédie de la parole
www.encyclopediedelaparole.org
Avec : Emmanuelle Lafon
Collaboration : Frédéric Danos et Grégory Castéra
Dispositif sonore : Kerwin Rolland et Andrea Agostini
Photo : © Huma Rosentalski
Théâtre Les Ateliers • 5, rue du Petit-David • 69002 Lyon
www.theatrelesateliers-lyon.com
Réservations : 04 78 37 46 30
Du 24 au 27 avril 2012 à 20 heures
Durée : 1 heure