Loin du conte
Par Aurore Krol
Les Trois Coups
Avec « Petits contes d’amour et d’obscurité », l’ancien élève de l’école du T.N.B. explore un diptyque douloureux, fait de fantasmes, de frustrations et de mélancolie. Le tout dans une langue viscérale et vicieuse dont la beauté ne suffit pas à faire oublier les maladresses de mise en scène.
La première histoire se nomme les Illisibles et plonge le spectateur dans les rites d’enfants aux paroles étranges et décousues. Ses protagonistes aux mœurs perverses frôlent parfois le maléfique, et l’on hésite quant à la portée de leurs actes. Est-ce le quotidien d’un groupe de jeunes élèves ? Ou un rêve ? Le trouble persiste, surtout quand les temporalités et les lieux sont mobiles à souhait.
Ici, les images se succèdent davantage pour leur symbolique que pour leur cohérence linéaire, dans certains cas au prix de la compréhension. Il y a une corde en plein milieu du plateau, une robe émeraude et un personnage au costume vert pailleté – de gentilles entailles à des conventions qui ne sont plus d’usage, comme pour préciser s’il le fallait que ce n’est pas du sérieux. Chez Lazare, l’imagerie déployée se situe plutôt dans le second degré iconoclaste, la référence volontairement éculée. Le tout empruntant autant à l’absurde qu’aux codes du boulevard. Ainsi de cet homme déguisé en amant qui, au cours de la pièce, sortira du placard plus par hommage au genre que pour raison narrative.
À travers cette nouvelle création, l’auteur questionne la cruauté juvénile, les envies inavouées et les petites hontes qui, à la longue, pourraient bien anéantir un homme. La scénographie offre des zones d’ombre, de séparation et de diffraction. Des murs de plastique translucide isolent un des personnages, lui même dédoublé et incarné par deux comédiens simultanément. Une jeune femme acrobate, sorte de fée Clochette sur laquelle se cristallisent les désirs, renvoie à sa solitude l’élève mal-aimé du groupe. Ce qui semble être une cour de récréation prend des allures fantasmagoriques où les enfants s’amuseraient à des jeux d’adultes, simulés mais néanmoins blessants.
Succession d’effets
Dans cette métaphore des rapports de force qui régissent le collectif, on apprécie le souci de l’auteur pour une langue râpeuse et poétique, où le sens est écorché par de multiples lapsus. Souvent, la parole trébuche en déviances sémantiques, comme autant d’accidents mettant à nu un discours intime, profondément non conventionnel. Le titre même de la deuxième histoire, intitulée Quelqu’un est Marie, joue sur la polysémie de ce prénom. Être marri, en effet, c’est être attristé, désolé, comme ce personnage éponyme, Marie, qui court après son passé et ses deuils.
À ce stade, on aimerait affirmer que, si le fil est difficile à suivre, c’est à cause de ce parti pris d’une écriture précieuse et onirique. La pièce aurait alors été complexe mais réussie. Malheureusement, c’est par la mise en scène que le bât blesse. Une mise en scène qui s’égare dans une succession d’effets, accrocheurs au début, mais finissant pas lasser. À l’instar d’une nuit de mauvais rêves, on assiste à une brassée d’images, certes foisonnantes, mais pas vraiment inédites. On notera par exemple le personnage du double de Marie, sorte de conscience maléfique qui viendrait la hanter, au parfum de déjà-vu.
L’ombre de Beckett aurait presque pu planer sur l’atmosphère d’ensemble, et cela aurait été une très bonne chose. Mais, à vouloir trop en faire, Lazare s’essouffle en chemin et perd un peu son spectateur. Là où il aurait fallu faire des choix, alléger le décor et épurer l’interprétation, on subit des tirades criées, toujours à la limite de l’hystérie. C’est éprouvant, mais pas dans le bon sens du terme.
Ce trop-plein s’exprime notamment par la répétition de jeux de lumière similaires entre les deux contes, et l’accumulation de noirs très « théâtraux ». On peut comprendre l’envie de faire se correspondre les histoires, mais cette ambition, par trop marquée, devient illustrative et ferme graduellement les portes qui avaient été ouvertes sur l’imaginaire.
Le regard et l’attention déclinent à mesure que l’on progresse dans ces récits nébuleux et saturés. Les comédiens ont beau faire, il est difficile de lutter contre l’excès de procédés. Ici, l’obscurité promise est malheureusement plus proche de l’opacité que de la noirceur ontologique. ¶
Aurore Krol
Petits contes d’amour et d’obscurité, de Lazare
Mise en scène : Lazare
Avec : Anne Baudoux, Laurie Bellanca, Axel Bogousslavsky, Laurent Cazanave, Julien Lacroix, Claire Nouteau, Philippe Smith
Scénographie : Vincent Gadras
Son : Laurent Mathias
Régie générale : Laurent Mathias
Régie lumière : Jacques Grislin
Régie plateau : Gille Muller
Construction décors : François Corbal, l’équipe des ateliers du Grand T, théâtre de Loire-Atlantique
Suivi production / diffusion : Jessica Régnier
Avec le concours de Yohann Pisiou et Arnaud Stephan
Photo : © Hélène Bozzi
Production : Vita nova
Coproduction : Théâtre national de Bretagne (Rennes) ; Théâtre Liberté à Toulon ; le Granit, scène nationale de Belfort ; Théâtre des Bernardines à Marseille ; Comédie de Saint-Étienne, le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique à Nantes ; le Bois de l’Aune à Aix-en-Provence
Avec le soutien de H.A.S. Claire Lacombe à Marseille, Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine
Remerciements : Marion Faure, Daniel Migairou
En partenariat avec le Théâtre de la Paillette
Dans le cadre du festival Mettre en scène
Renseignements / billetterie : 02 99 31 12 31
Théâtre de la Paillette • 6, rue Louis-Guilloux • 35000 Rennes
Du mardi 4 au samedi 8 novembre 2014 (20 heures les mardi et mercredi, 21 heures les jeudi et vendredi, 19 heures le samedi)
Durée : 1 h 40
Tarifs : 21 € | 10,50 €
Du 7 au 16 juin 2016 à 20 h 30, relâche les 11 et 12 juin
Studio-Théâtre de Vitry • 18, avenue de l’Insurrection • 94400 Vitry-sur-Seine
01 46 81 75 50