« Plan B », d’Aurélien Bory et Phil Soltanoff, Théâtre du Rond‑Point à Paris

« Plan B » © Aglaé Bory

« Plan B » : en apesanteur

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

À la croisée de nombreuses disciplines (cirque, théâtre, danse, arts visuels), cette variation autour de l’idée géométrique du plan, inclinable ou non, est sans aucun doute « le bon plan » de cette fin d’année. Créé en 2003, ce spectacle atypique est repris pour une courte tournée. Après Le Grand T (Nantes), où Aurélien Bory est artiste associé, il est à l’affiche du Théâtre du Rond-Point. À ne surtout pas rater.

Aurélien Bory sort vraiment des cadres. Avec ses acolytes, cet artiste explore des pistes intéressantes, car il engage le cirque contemporain, déjà tellement inventif, sur de nouvelles voies. Ses projets s’articulent autour de la recherche de formes hybrides nées d’un espace scénique sous contraintes.

D’un spectacle à l’autre, sa dramaturgie, ses tableaux sans texte, tournent autour de dispositifs scénographiques ingénieux qui révèlent des sens inédits en imposant un certain rapport au mouvement, en lien ténu avec les lois de la physique. Ainsi, dans les Sept planches de la ruse, bâtons, mâts et planches forment une architecture magique qui donnent du fil à retordre aux acrobates, tandis que dans Plus ou moins l’infini, la ligne se tend, se brise, s’efface, relie. On comprend mieux l’origine de ses lubies quand on apprend la formation initiale de l’artiste : scientifique. Toqué d’algorithme et de racine carrée, Bory ?

Dans Plan B, il n’est pas seul à la barre. Il a demandé à Phil Soltanoff de régler la mise en scène, car cet artiste féru de théâtre expérimental se plaît aussi à bousculer les repères. Le goût immodéré des deux pour les mangas, le cinéma d’action et les jeux vidéo ne pouvait que parfaire l’ensemble. Avec eux, l’acrobatie et le jonglage accèdent à de nouvelles pistes.

En pente douce

À partir d’un plan inclinable qui occupe une grande partie de la scène, les interprètes explorent donc toutes les possibilités physiques, entre tapis roulant et toboggan, mur à abattre ou plateau intersidéral. D’abord, les quatre hommes, mus par une force motrice inquiétante, évoluent sur la surface de façon bien méthodique. Puis ils finissent par quitter leur costume pour faire des roulades, se défier, disparaître dans les ouvertures, se nicher dans les interstices de la paroi, tels de grands oiseaux. Ludique ! Comme ils ne sont jamais en reste, ces voltigeurs s’envoient aussi en l’air, après moult combats, sans craindre de tomber dans les étoiles. Que de poésie dans ce spectacle lunatique en diable !

Il n’y a pas vraiment d’histoire, mais un enchaînement de situations cocasses avec des personnages inspirés du mythe de Sisyphe, héros de la mythologie grecque épuisé de devoir sans cesse se confronter à de nouveaux problèmes malgré ses efforts pour les surmonter. Qu’ils soient en milieu hostile ou familier, nos énergumènes s’évertuent ici à s’adapter sans cesse à leur environnement. D’inclinée, la surface devient verticale ou horizontale. Qu’à cela ne tienne ! Il y a toujours un plan B. En situation inconfortable, les dégringolades des golden boys du début sont aussi vertigineuses que la chute des cours de la Bourse. Mais si un danger survient, pas d’hésitation, quitte à faire des sauts périlleux… couchés ! Les hommes d’affaires deviennent en effet de drôles de karatékas qui rebondissent de façon amortie, comme les balles un peu capricieuses des jongleurs dépassés par tant de bizarreries.

Drôles de perspectives !

Non, ceux-là ne perdent jamais pied, même s’ils retombent sur leurs pattes avec beaucoup de décalage. Un peu comme Keaton, le maître de l’absurde. Les références cinématographiques sont d’ailleurs nombreuses. Par exemple, comment donner l’illusion de flotter dans les airs quand on est plaqué au sol ? Le procédé filmique utilisé est un beau clin d’œil à Méliès. Superbe fantaisie aérienne ! Qu’ils jouent avec leurs ombres ou entre eux, les créatures de la série des films Matrix rejoignent les tableaux de Magritte pour composer des images tantôt sublimes, tantôt drolatiques.

De la prouesse au gag, les interprètes sont tous virtuoses. Tour à tour acrobates, jongleurs, danseurs et musiciens, ils jouent leur partition au millimètre près. Un quatuor au diapason de la création sonore, d’ailleurs inspirée, car tour à tour métallique, planante, acoustique. Comme eux, nous sommes en apesanteur. Cette exploration de nouvelles aires de jeu sans limites défie les lois de la gravité pour mieux stimuler l’imaginaire.

Mine de rien, les membres de la Cie 111 nous emmènent dans leur monde, multipliant les points de vue pour nous aider à prendre la mesure de notre déséquilibre permanent. L’homme rêve de hauteur dans un environnement en perpétuel mouvement. Il s’adapte, mais le monde change plus vite que lui. Finira-t-il par aller droit dans le mur ? Mêlant le merveilleux à l’effroi, ce spectacle incarne, avec grâce et acuité, la fragilité de notre humanité, un monde prêt à basculer. Et même en apesanteur, c’est fort, car malgré tout déstabilisant. 

Léna Martinelli


Plan B, d’Aurélien Bory et Phil Soltanoff

Cie 111

http://www.cie111.com

Avec : Mathieu Bleton, Itamar Glucksmann, Jonathan Guichard, Nicolas Lourdelle

Conception et scénographie : Aurélien Bory

Mise en scène : Phil Soltanoff

Régie générale : Arno Veyrat

Musique : Phil Soltanoff, Olivier Alenda, Aurélien Bory

Musique additionnelle : Ryoji Ikeda, Lalo Schiffrin

Assistant à la mise en scène : Hugues Cohen

Répétiteurs : Olivier Alenda, Loïc Praud

Vidéo : Pierre Rigal

Costumes : Sylvie Marcucci

Décor : Christian Meurisse, Harold Guidolin, Pierre Dequivre

Peintures et patines : Isadora de Ratuld

Régie plateau : Thomas Dupeyron

Régie son : Joël Abriac

Régie lumière : Carole China

Photo : © Aglaé Bory

Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin-D.-Roosevelt • salle Renaud‑Barrault • 75008 Paris

Réservations : 01 44 95 98 21

http://2012-2013.theatredurondpoint.fr/saison/fiche_spectacle.cfm/127954-plan-b.html

Du 12 décembre 2012 au 12 janvier 2013 à 18 h 30, relâche les lundis, les 16, 18, 25 décembre 2012 et 1er janvier 2013

Durée : 1 h 10

36 € | 21 € | 18 € | 11 €

Tournée :

  • Les 5 et 6 février 2013 au Théâtre de Cornouaille, scène nationale, Quimper (29)
  • Les 11 et 12 février 2013 à l’amphithéâtre Les 3 Mâts, Sables-d’Olonne (85)
  • Les 15 et 16 février 2013 au Channel, scène nationale, Calais (62)

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