Un bel écrin
pour une grande actrice
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Élizabeth Macocco occuper seule un plateau de théâtre. Trop longtemps. Merci à Jean Lacornerie de la diriger si bien dans ce monologue déjanté de l’auteur contemporain argentin, Federico Jeanmaire, « Plus léger que l’air ».
Un huis clos pour une nonagénaire seule : Feila a été agressée au couteau au moment de rentrer dans son appartement. Mais la vieille a plus d’un tour dans son sac : déclarant que l’argent est dans la salle de bains, elle y fait entrer le jeune homme et l’enferme à double tour. La victime va pouvoir devenir bourreau.
Mais dans la littérature sud-américaine, aucune lecture n’est univoque et rien n’est jamais sûr. Feila a–t‑elle réellement subi une attaque à main armée ? Santi prétend que non, qu’il a juste pointé son index. Ou plutôt, elle dit qu’il le prétend. D’ailleurs, nous ne verrons pas Santi, pas plus que nous ne l’entendrons. Feila s’en fait l’interprète, mais peut-être sort‑il tout droit de son imagination. Il semble exister, car il secoue la porte, grogne, allume et éteint la lumière qui passe dessous. Vérité ou mensonge, mondes parallèles, fantaisie, fantastique… Et elle, est‑elle un de ces « nouveaux sauvages » si magnifiquement filmés par Damián Szifron ?
Toutes ces incertitudes sont relayées par la mise en scène à l’humour surréaliste de Jean Lacornerie : pour s’exprimer, Santi passe un tube dentifrice sous la porte et ce dernier semble doté d’une vie propre comme un petit personnage de dessin animé, inénarrable.
Jubilatoire !
Et pourtant le texte ne se contente pas de laisser planer des ambiguïtés. Il dit de fort belles choses sur la vieillesse, sur l’isolement qui l’accompagne, la soif violente de parler, d’être écoutée. Il évoque aussi, à travers le récit de Feila, ce qu’il reste d’une vie : non pas la vie vécue, mais la vie rêvée, celle des souvenirs imaginés auxquels on se raccroche, sur lesquels on a tout construit. Il suggère encore ce qui ne meurt jamais totalement, l’insolence, le désir de plaire, celui d’aimer, quand le corps est en perdition. Il disserte enfin de la faute, de la culpabilité et des petits arrangements avec le diable…
Et puis, surtout, il faut saluer la prestation d’Élizabeth Macocco. Elle est à elle seule tant de personnages ! De la très vieille dame en fin de vie à la petite fille jamais remise de la mort précoce de sa mère et qui a perdu sa vie à la faire revivre. La très grande bourgeoise catholique qui fait la morale au voleur ; la pauvre femme qui guette un signe d’intérêt et qui imagine, peut-être, une histoire d’amour. Pour mimer le premier et dernier vol de sa mère, elle monte sur les gradins, se fait aider par les spectateurs, tenant à l’horizontale ses cannes comme des ailes.
Elle va ainsi à la rencontre du public, comme au tout début du spectacle où elle nous intime l’ordre de nous taire pour l’écouter. L’assistance, décontenancée, finit par comprendre que ce n’est pas à elle qu’elle s’adresse, mais à l’autre, tapi derrière la porte. L’intelligence de la mise en scène et celle de l’interprète se conjuguent pour semer la confusion et rendre la polysémie du texte, tout en faisant entendre sa vérité humaine. Une très belle pièce, servie magnifiquement. Un grand moment de théâtre. ¶
Trina Mounier
Plus léger que l’air, de Federico Jeanmaire
Traduction : Isabelle Gugnon
Éditions Joëlle Losfeld. Les droits théâtre sont gérés par les éditions Gallimard
Adaptation : Martine Silber, Jean Lacornerie
Mise en scène : Jean Lacornerie
Avec : Élizabeth Macocco, Quentin Gibelin
Lumières : Sandrine Chevallier
Costumes : Robin Chemin
Perruques et maquillage : Cécile Kretschmar
Photo : © Blandine Soulages
Production : Cie À juste titre-Élizabeth Macocco / Théâtre de la Croix‑Rousse
Remerciements à Romuald Ballet‑Baz et Jérôme Rio
Théâtre de la Croix‑Rousse • place Joannès‑Ambre • 69004 Lyon
04 72 07 49 49
Du 1er au 18 février 2017 à 20 heures, sauf le mardi 14 à 19 heures, les samedis à 19 h 30 et les dimanches à 15 heures, relâche le lundi
Durée : 1 h 15
De 5 € à 26 €
Une réponse
Vu jeudi dernier. Le retour du du vrai théâtre, enfin, avec une actrice de grand talent. Un soulagement après sa mise en scène de très mauvais goût de « L’opéra de quat’sous », où il nous a infligé deux heures durant une blonde peroxydée d’1m20 et sans talent, qui tortillait des fesses avec la bouche en cul de poule en chantant faux. C’était d’une grande tristesse.