« Portrait de Ludmilla en Nina Simone », de David Lescot, Théâtre de la Ville – Espace Cardin à Paris

Nina-Ludmilla en mots et en musique

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Avec l’actrice Ludmilla Dabo, David Lescot rend un hommage vibrant à Nina Simone. Un portrait où se superposent habilement les figures de la comédienne et de la chanteuse.

Côté jardin, un mannequin de velours noir, sans visage, recouvert d’une robe blanche de gala et d’un turban, figure la diva des grands soirs. Nina Simone n’apparaissait-elle pas comme une statue qui chante ? Une figure de la tragédie. Au début des concerts, elle dévisageait le public, qu’elle intimidait souvent, puis riait avant de commencer.

Difficile d’endosser ce rôle ! Pourtant Ludmilla Dabo, à la fois comédienne et chanteuse, se glisse facilement dans la peau de Nina Simone. Elle en impose, jouant parfois en force. Elle incarne la chanteuse tout en témoignant son admiration pour l’artiste, pour cette figure de la lutte des droits civiques, bref pour cette femme avec laquelle elle partage plusieurs points communs, en plus de la couleur de peau.

Ludmilla versus Nina

Ce mélange habile de confidences et de chansons retrace l’histoire d’Eunice Kathleen Waymon, une petite fille née dans une famille pauvre de Caroline du Nord, jeune prodige confrontée au racisme. La pièce nous raconte les déboires avec sa mère et les hommes, son rapport à la foi, ses débuts dans des nightclubs où il s’agissait avant tout de « faire boire les clients », enfin la gloire de Nina Simone, le militantisme. Chaque morceau est une réponse aux événements de sa vie et de son siècle. À ce titre My Skin is Black est un chef-d’œuvre.

On y apprend justement que celle qui voulait être la première musicienne classique noire de l’Histoire fut marquée à jamais par son échec au concours d’entrée à la prestigieuse Juilliard School of Music de New York. Incapable de faire le deuil de cette brillante carrière de pianiste, la jeune femme au destin brisé s’enferme dans une sorte de mélancolie combattive qui donne toute sa force à sa musique.Quant à Ludmilla Dabo, elle nous raconte qu’étudiante au sein du prestigieux Conservatoire national supérieur d’art dramatique, elle a suscité la polémique avec l’une de ses créations, une comédie musicale où elle invitait chaque interprète à être créateur de sa Nina Simone. Elle questionnait la représentation de la diversité sur scène, en l’occurrence la présence des Noirs dans l’école et sur les scènes : « Plus qu’une parole, c’était un geste. Au-delà du débat politique, un acte artistique », explique-t-elle. 

Petite forme pour grands destins

Plus qu’une biographie, il s’agit donc d’un portrait croisé. Il a été créé à La Comédie de Caen, dans le cadre des Portraits initiés par Marcial Di Fonzo Bo à son arrivée à la direction. Avec Élise Vigier, artiste associée, ils ont eu l’idée de formes légères redonnant vie à des personnalités marquantes, comme Stéphane Hessel, Michel Foucault ou Pierre Bourdieu, qu’ils présentent en décentralisation, dans des établissements scolaires par exemple, le tout croqué de manière ludique.

Pas de piano, donc. David Lescot accompagne la comédienne à la guitare. Il lui donne aussi la réplique, comme il peut. Il a tenu à se prêter au jeu des questions-réponses. L’aspect documentaire, sous la forme d’un entretien, introduit un contrepoint intéressant et permet des effets de césure. L’auteur aime aussi mêler la petite et la grande histoire, la collective et la personnelle.

Certes, cette juxtaposition des figures de la chanteuse et de l’actrice convainc comme argument, mais c’est justement là que le bât blesse : l’excès démonstratif. De plus, même si la partition est très scandée, le rythme général n’est pas totalement maîtrisé, avec des transitions parfois fastidieuses. Il faut dire qu’ils sont à l’étroit sur la minuscule scène du studio, à l’Espace Cardin, un peu comme dans un club de jazz. Enfin, les lumières et les costumes ne sont pas folichons.

Nina Simone et Ludmilla Dabo : même combat ?

Quoi qu’il en soit, ils peuvent être fiers tous les deux de faire bouger les lignes. David Lescot se fait passeur et accouche même d’une artiste qui peut réaliser son rêve, en partie, ici : incarner Agnès, de L’École des femmes, le temps d’une tirade. En effet, Ludmilla Dabo, nous expliquait deux minutes auparavant : « Un jour, quand j’ai exprimé ce vœux le plus cher, mes camarades du Conservatoire ont éclaté de rire .

Et là, enfin, elle peut montrer l’étendue de son talent. Après les saluts, en guise de clin d’œil, tous deux font raisonner un extrait de la plus belle manière, histoire de nous montrer que Molière n’est pas seulement un répertoire pour Blancs. Alors, cette femme d’aujourd’hui rejoint son modèle, Nina Simone, en faisant de son combat contre la ségrégation un acte artistique fort : avec ce groove et ce sens du swing incroyable, Molière devient plus universel que jamais. Et on espère bien que ce bonus débouchera bientôt sur une prochaine création de la pièce, dans son entier, avec elle dans la distribution, évidemment. 

Léna Martinelli


Portrait de Ludmilla en Nina Simone, écrit et mis en scène par David Lescot

Compagnie du Kaïros

Avec Ludmilla Dabo et David Lescot

Photos © Tristan Jeanne-Valès

Durée : 70 minutes

Teaser

Théâtre de la Ville • Espace Cardin • Petite salle • 1, av Gabriel • 75008 Paris

Du 9 au 27 janvier 2019, à 20 heures, dimanche à 16 heures

De 10 € à 22  €

Réservation en ligne et au 01 42 74 22 77

Tournée :


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☛ Revue rouge, de Norah Krief et David Lescot, par Jean-François Picaut

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