Beckett, l’obsédé textuel
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
Entendre « Premier amour » au Théâtre des Amants a assurément quelque chose d’extrêmement charmant. Ajoutez à cela l’intimité d’un lieu, une petite chapelle du xviie siècle, et cette union trop parfaite d’un texte et d’un contexte prend une dimension quasi mystique. Pour lever le voile et découvrir ce que cache cet amour mystérieux, rendez-vous tous les jours, jusqu’au 28 juillet, place du Grand-Paradis…
Premier amour, c’est l’histoire d’une initiation amoureuse et une exploration de l’intimité des sentiments humains. Chassé à la mort de son père de la maison familiale, Beckett, recueilli par une prostituée, entre en errance amoureuse. Ce « premier amour », le dernier aussi, est sombre et inspiré.
La mise en scène joue de la profondeur d’une nouvelle qui se développe à sauts et à gambades, suivant le cours des idées, par aphorismes parfois. Le partage mystique de l’intimité de l’écrivain et du rôle cathartique que joue pour lui la littérature – dernier exutoire en des temps troublés par la guerre – est rendu par une atmosphère fort sombre. Seul le visage du comédien est éclairé par une lueur blafarde et inquiétante, qui, peu à peu, le découvre à mesure que le texte se déploie. La voix ténébreuse d’Alexandre Fabre, comme issue des profondeurs, fait résonner l’étrange beauté du texte.
Mais sa présence de comédien tend à s’imposer au texte. Alexandre Fabre semble jouer Beckett plus que l’incarner. Cette autorité de l’acteur impose au texte sa méthode et malmène ainsi la bonhomie lasse et un brin cynique avec laquelle le jeune Beckett retrace le parcours initiatique qui le conduit de l’amour à l’écriture, et en fait l’obsédé textuel que l’on sait.
Quant à la part faite au mystère, elle frôle l’hermétisme. Aux ténèbres du texte répond l’obscurité de la scène, une obscurité qui fatigue ; de même, le statisme du comédien, une diction belle mais un peu uniforme, rendent le maintien de l’attention difficile. Sans doute est‑ce là le revers de cette descente mystique dans les tréfonds de l’amour. Et la difficulté à voir clair sur scène comme dans le texte ne sont peut-être qu’une invitation à exercer son acuité pour accéder à une compréhension plus profonde de la beauté sibylline de l’œuvre de Beckett.
Les révélations de la Pythie n’étaient-elles pas nimbées de brouillard ? ¶
Cédric Enjalbert
Premier amour, de Samuel Beckett
Cie La Belle Idée • 18, rue du Faubourg • 77260 La Ferté‑sous‑Jouarre
01 60 22 49 97
Mise en scène : Alain Paris
Interprète : Alexandre Fabre
Lumière : Orazio Trotta
Théâtre des Amants • 1, place du Grand‑Paradis • Avignon
Réservations : 04 90 86 10 68
Du 6 au 28 juillet 2007 à 18 h 30
Durée : 1 h 15
13 € | 9 € | 7 € | 5 €