« Radio Live- chapitre 1 : Vivantes », d’Aurélie Charon, critique, Théâtre Benoit XII, Festival d’Avignon 2025

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Vivantes, résilientes, résistantes !

Laura Plas
Les Trois Coups

Volet au féminin de Radio Live, « Vivantes » est un évènement : extraordinaire tant artistiquement qu’humainement. L’émoi qu’il suscite vient tout autant de la beauté morale de ses interprètes que d’une proposition fine, modeste, à l’écoute. On en sort les yeux grands ouverts : un obus dans le cœur.

Pendant des années, Aurélie Charon est partie à la rencontre de jeunes qui vivaient ou avaient vécu en zones de guerre. Elle les a interrogés, écoutés, engrangeant la matière documentaire de Radio Live, certes, mais favorisant surtout la rencontre. Le chapitre « Vivantes » réunit ainsi sur un même plateau trois jeunes femmes : Oksana a grandi en Ukraine et y mène encore une activité de fixeuse et de comédienne. Hala, fille d’un militant communiste, a dû fuir la Syrie. Quant à Inès, elle porte dans son corps des éclats d’obus, métaphore vivante de ce que la guerre a irrémédiablement cassée en Bosnie. Créatrice notamment d’un lieu refuge pour les migrants, elle tend aux Européens le miroir de leurs indifférences.

Ces personnes sont extraordinaires, pour autant, elles ne se posent pas en héroïnes. Leur parole est d’ailleurs factuelle, jamais dramatisée. Pétillante d’humour et parfois d’autodérision, elle a la limpidité de l’évidence. Et comme c’est l’évidence du courage, on se prend une sacrée claque. Face à elles, Aurélie Charon garde de son expérience radiophonique l’exigence éthique de la discrétion. Le canevas intelligent de ses questions est essentiel, mais elle reste sur le côté, y compris au moment symbolique du salut : elle laisse la voix libre. Résultat : nous avons le sentiment que la parole des témoins n’est pas instrumentalisée. Il s’agit bien du spectacle d’Oksana, Inès et Hala…

Ma mère, ma sœur, « songe à la douceur d’être là-bas ensemble »

Toutes trois ont vécu l’expérience de la guerre à des âges distincts, dans des pays différents.  Cependant, au fil des heures, grâce au travail d’écriture, leurs réponses semblent tisser une trame commune. Il faut dire que deux d’entre elles ont perdu dans la guerre un père engagé pour des idées de gauche, et que toutes ont gardé un lien puissant à leurs mères. Ces dernières, gardiennes fidèles de leur foyer et aussi de leurs idéaux, ont survécu à leurs époux et traversé le temps jusqu’à nous. Leurs mots mais aussi leurs silences et leurs sourires en disent long. Avec elles, nous traversons non seulement les espaces mais aussi le temps. Et on ne peut s’empêcher de se demander si le lien mère-fille, la présence presque exclusive de femmes au plateau n’a pas favorisé la limpidité et la qualité des échanges.

Il y a donc des mères et des sœurs que l’on reconnaît sur des photos, des écrans de téléphone, de plus en plus présentes… Visages paysages de territoires déchirés. Mais on découvre en live deux autres femmes : elles contribuent à la forme artistique de Vivantes. Gala Vanson propose des interventions dessinées sur les supports projetés. Son geste vient ainsi ponctuellement et subtilement colorer la matière documentaire. Elle la décale, comme le temps qui passe déplace un peu le souvenir.

De même que le spectacle avance en accueillant une parole vive et un peu différente chaque soir, l’illustratrice fait apparaître des figures en direct. En cohérence avec la proposition graphique et scénographique pop d’Amélie Bonin et Pia de Compiègne, elle invite en particulier la couleur. Parfois, la ponctuation est à peine visible, tel un non-dit qui affleure, mais il arrive qu’elle prenne le relais des mots, voire les prenne de vitesse, nous permettant de comprendre ce qu’il est si dur de dire

Écoute aujourd’hui ce qui fut pour la jeunesse du monde le chant du malheur

Or, la voix d’Emma Prat exprime cette puissance fédératrice, bouleversante, de la musique. Peu importe le sens exact de certaines paroles, l’émotion nous serre la gorge et l’on ressent mieux ce qu’ont vécu Oksana, Hala et Inès. La voix est proprement humaine, au sens où elle nous rappelle à notre humanité.

C’est un chant pour le temps présent qui nous enjoint de cesser de nous boucher les oreilles. Air de résistance, de défi même, de la jeunesse. Le prologue avertit : prenons garde à la colère des enfants écœurés de nos lâchetés. Et en même temps, toutes les voix parlées, chantées, dessinées du spectacle semblent déclarer : « Vous n’aurez pas nos haines, nous refusons que nos humanités soient détruites par la guerre, par l’état du monde ». En lettres fluorescentes, on avait vu défiler selon le code des news mais contre elles le message suivant : « Yes, there is hope ». Face à ces femmes résistantes, résilientes, si vivantes, on voudrait y croire pour un instant, et y contribuer peut-être…

Laura Plas


Conception et écriture scénique : Aurélie Charon
En complicité avec : Amélie Bonnin et Gala Vanson Avec : Oksana Leuta, Hala Rajab, Ines Tanović
Durée : 2 h 20
Dès 14 ans
Teaser ici

Théâtre Benoit XII• 12, rue des Teinturiers • 84000 Avignon
Les 14 et 19 juillet 2025, à 17 heures
De 10 € à 35 €
Réservations : en ligne ou au 04 90 14 14 14

Dans le cadre du Festival d’Avignon, 79édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
Festival d’Avignon 2025, Tiago Rodrigues, annonce, par Lorène de Bonnay

Photos : Matthieu Camille Colin

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