Johanne Humblet, vent debout !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Premier volet d’un triptyque, « Résiste » est une proposition originale, autant par l’engagement corporel de la funambule que par l’esthétique. Cette demi-heure de frissons à la tombée de la nuit nous a scotchés. Malgré la pluie battante, le cri de Johanne Humblet a transpercé la nuit.
Il existe deux versions de ce spectacle, dont celle en extérieur, que nous avons pu découvrir. À Jouy-Le-Moutier, dans le parc dit Raclet » aux arbres centenaires, une ligne était tendue, à 20 mètres de hauteur. Avec 200 spectateurs à ses pieds, sous les nuages menaçants, Johanne Humblet a évolué dans un calme impressionnant, entre terre et ciel, sans filet ni protection.
Quand tout s’effondre autour de nous, comment rester encore là, d’aplomb, le regard porté vers l’avant ? Sur son fil, Johanne Humblet tient. Vent debout. Elle trace sa route, malgré les embûches, se retrouve tête en bas, mais se relève, toujours. Résister et avancer : une métaphore de la vie. La chanson de France Gall et Michel Bergé ouvre le spectacle « Résiste / Prouve que tu existes / Cherche ton bonheur partout, va / Refuse ce monde égoïste / Danse pour le début du monde / Danse pour tous ceux qui ont peur / Danse pour les milliers de cœurs / Qui ont droit au bonheur ».
Inspirée de la bande dessinée l’Enfant penchée, de Schuiten et Peeters, dont la petite héroïne est soumise à une gravité différente de tous ses camarades, avec un corps penché à 45°, Johanne Humblet déploie son langage à l’horizontale autant qu’à la verticale. En fait, la funambule évolue sur un fil instable. Mobile, celui-ci varie de hauteur, s’incline, offre une multitude de défis. Et le miracle se produit. D’abord précaire, l’équilibre est sûr, jusqu’à l’état de grâce. Elle danse, vole, fait des culbutes, en accordant ses gestes à l’univers des musiciens situés, comme nous, au ras du sol.
Intensité et qualité de mouvement
Les compositions originales la portent littéralement. Plutôt que la rage, une saine colère guide ses pas. Très rock, cette « musique viscérale » est relayée par un dispositif sonore qui permet de capter les évolutions sur le fil grâce à des micros. Sons métalliques et stridents traduisent autant la peine, l’effroi que la hargne. En contrepoint, la chanteuse apporte aussi quelques notes d’humour en s’essayant à des figures improbables.
Ce soir-là, Johanne Humblet n’a pas décroché la lune, mais elle a tutoyé les étoiles. Le vent et la pluie l’ont obligée à descendre. Elle n’a pas baissé les armes pour autant. Tout en joie et en sourire, elle a exhorté à « ne rien lâcher ». Au rythme des éclairs, son cri de liberté a transpercé la nuit, avant que le public ne se disperse dans la précipitation.
Mélange de maîtrise et d’improvisation
Et elle continue sur sa lancée avec d’autres créations in situe qui ménagent toutes leur lot de surprises. Après ce premier volet, Respire, une traversée funambule et Révolte ou tentatives de l’échec tournent déjà. Le fil peut être droit ou en ascension, il peut prendre un virage, être plusieurs, piquer droit dans le ciel ou plonger dans l’eau… De l’espace investi découle le type d’installation, l’imaginaire, la dynamique, la durée de la performance, à des hauteurs plus ou moins importante. Ces jours-ci, elle a d’ailleurs effectué une impressionnante performance, au festival Les Invites de Villeurbanne, organisé par Les Ateliers Frappaz.
Bien plus que des shows acrobatiques avec son et lumière, ces spectacles à la dramaturgie travaillée, se distinguent par un vocabulaire novateur, avec son usage du balancier, manipulé à la verticale. Forte personnalité, Johanne Humblet renouvelle tous les codes. Sans voile ou autre fanfreluche, sa figure féminine est loin des clichés : dans Respire, son chaperon rouge dompte le loup !
Toujours plus haut, plus loin, plus longtemps. Même s’il est calculé, le risque existe. Son équipe technique fait office d’ange-gardiens, mais sa vie est quand même en jeu. Pourtant, le vide ne lui fait pas peur : « Il n’y ni passé, ni futur. Juste l’instant », aime-t-elle dire. Un instant qui laisse une trace indélébile. ¶
Léna Martinelli
Résiste, création collective sous la direction artistique de Johanne Humblet
Collaboration à la mise en scène : Yann Ecauvre
Collaboration artistique : Maxime Bourdon
Création musicale : Deadwood
Funambule : Johanne Humblet
Chanteuses : Violette Legrand, Annelies Jonkers
Régie son : Jérémy Manche, Mathieu Ryo
Régie plateau, régie générale : Steve Duprez, Matthieu Duval
Création lumière : David Baudenon, Clément Bonnin
Costumes : Solenne Capmas
Chausson de fil : Maison Clairvoy
Construction : Steve Duprez
Construction fil instable : Sud Side
Parc Raclet • 38, Grande rue • 95280 Jouy-Le-Moutier
Le 8 septembre 2021, à l’occasion du lancement de la saison culturelle
Entrée libre
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