Buster Keaton (re)prend le maquis
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
Certains auront eu la chance de le voir dans « Lettres de délation », présenté en 2007. D’autres, dans « Résister c’est exister », second volet de ce diptyque autour des comportements en temps de guerre, joué en 2008 à Avignon et repris cette année. François Bourcier, l’incroyable mime au regard pétillant, au visage de clown triste reprend donc du service et se glisse dans la peau d’un Buster Keaton chez les Justes. Avec le même talent.
Français moyen en chapeau melon et gilet court, vieil homme au béret et à la blouse, agent de la maréchaussée en képi sur uniforme, petit bourgeois en chapeau mou et costume sombre ou vielle femme cachée sous un châle, médecin peu téméraire mais profondément humain ou humoriste sans couteau ni pain de plastique, mais avec les mots et la machine pour les écrire, François Bourcier incarne successivement près de vingt personnages. Tous ont existé : le spectacle est en effet construit sur des témoignages et des actes véridiques. Avec brio, il avance sur les pas des « soutiers de la gloire » et évolue au milieu d’une admirable scénographie, conçue par Isabelle Starkier, éclairée par les lumières froides d’Antonio de Carvalho. La trouvaille ? Chacun des résistants est d’emblée présent sur scène dans l’ombre, représenté seulement par son vêtement. Des chaînes, symbole de l’Occupation, suspendent celui‑ci. En entrant dans ces peaux nouvelles, François Bourcier prend tout du personnage qu’il investit : langue, mimiques, gestes, accents, nuances. Mais ces mues, il les lâche aussitôt, d’un geste, sur quelques notes célèbres de Bach, une cinquième symphonie à faire chanter les Justes de cette « armée des ombres ».
Une valisette, quelques accessoires, un visage blanchi et des yeux gros à la pupille sans tain : voir, s’y refléter. Rebondissant sans cesse, chancelant, renaissant, il finit avec les plus grands. Le « Charles de Gaulle » et son appel du 18‑Juin joué par le fameux mais burlesque tire-bouchon qui lève les bras, le colonel Fabien préparant son attentat, Maurice Druon et Joseph Kessel à la recherche d’un titre pour le chant qui deviendra « des partisans ». Il cite Péguy, aussi : « En temps de guerre, celui qui ne se rend pas est mon homme ». Dans son costume sombre de résistant – veste de feutre, chapeau assorti –, il dénonce enfin les « rafles » à la sortie des écoles, invoque le devoir de résister. Quand la rentrée des classes cette année ? On ne sait trop qui il joue. Mais nullement surprise, une voix répond, sûre d’elle : le 3 septembre. Il déplie alors un plan sous ses pieds et organise un ordre d’action : rendez-vous à la rentrée. Celle de 2009, car la résistance n’est pas un fait historique, elle est une preuve de vie, un devoir et une dignité, une façon d’éprouver son existence. Résister pour exister.
Derniers mots au puissant Césaire, qui veille sur son spectacle : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont pas de bouche. Ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». Sous ses traits de clown triste, mime burlesque aux grands airs et transformiste adroit, François Bourcier parvient à éveiller les consciences et à donner du sens à son travail (que l’on retrouve d’ailleurs, en tant que metteur en scène, dans Barricades !. Bref, Buster Keaton (re)prend le maquis. Nous sommes beaucoup à le suivre. ¶
Cédric Enjalbert
Résister c’est exister, d’Alain Guyard
Sur une idée originale de François Bourcier
Mise en scène et scénographie : Isabelle Starkier
Avec : François Bourcier
Lumière : Antonio de Carvalho
Son : P. Latron
Costumes : A. Bothuon
Photo : © Caroline Coste
Avec les voix d’Évelyne Buyle, Daniel Mesguisch, Yves Lecoq, Stéphane Freiss
Collège de La Salle • 1, place Pasteur • 84000 Avignon
Réservations : 04 32 70 01 92
Du 8 au 31 juillet 2009 à 13 heures
Durée : 1 h 20
16 € | 11 €