Zucco, à bout de souffle
Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups
Yann-Joël Collin s’empare du personnage créé par Bernard-Marie Koltès avec seize élèves du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Ce qui pourrait être une fascinante réflexion sur le rapport conflictuel de l’homme et de la société se perd dans une mise en scène souvent dépourvue d’émotion.
Associer Roberto Zucco et Prologue. Sur le théâtre relève d’une double motivation. D’une part, il s’agit d’offrir aux filles un rôle à leur mesure. Dans le texte de Didier-George Gabily, elles trouvent matière à jouer, à exprimer l’indicible dans une langue lyrique qui avance à tâtons, se heurte aux obstacles de la pudeur et de l’angoisse. D’autre part, le metteur en scène cherche ainsi à placer au cœur de son projet la question de la violence.
Zucco incarne en effet une violence sociale. Il est celui qui n’a pas sa place. Incapable d’être un fils, incapable d’être un amant, incapable de travailler. Confronté à des êtres qui, eux, ont un rôle bien défini et sont d’ailleurs désignés par leur fonction et jamais pas leur nom – « soeur », « patronne », « gardien »… –, Zucco se cherche et ne se trouve pas. Les crimes sont le résultat de ces rencontres qui renvoient systématiquement le jeune homme à sa perte identitaire.
Ce sont donc plusieurs jeunes comédiens qui jouent successivement le tueur. Insaisissable, celui-ci ne se reconnaît pas. Le spectateur, comme la police, est alors à l’affût. Il cherche à identifier celui qu’il croît connaître. Certains comédiens sont assis dans la salle, au milieu du public, comme pour suggérer la banalité du monstre. Tantôt joueur, tantôt mystérieux, le Zucco porté par les comédiens du Conservatoire nous intrigue et nous attire.
En face de lui, la gamine, Morgane Real, qui incarne aussi la mère infanticide de Didier-Georges Gabily. Ce pourrait être la gamine, quelques années plus tard. L’une est victime, l’autre est criminelle, mais les comédiennes qui portent ce personnage haïssable, à la recherche d’une vérité qui veut se faire oublier, la rendent très émouvante. Elles sont filmées au plus près par une caméra fixe. Leur visage, immense, se projette derrière elles, donnant à voir les hésitations, les tensions, les peurs.
Un plateau nu, deux caméras
Les seize comédiens évoluent sur un plateau nu, mis à part deux portes en bois et une caméra. Au fond, un écran. Très vite, on découvre que sont aussi projetées des images filmées par une caméra mobile qui suit les interprètes dans le jardin du lycée Saint-Joseph. Dans un premier temps, on apprécie ce dispositif scénique. On ne se perd pas dans une disposition esthétisante et complexe. Les acteurs sont au cœur de la mise en scène, car on reste au plus près des corps et des visages. Pourtant, très vite, on se lasse.
La caméra extérieure, qui nous a séduit dans un premier temps, offrait un contraste dynamique entre le soleil extérieur et l’obscurité de la salle, mais elle se révèle vite trop instable. On perd alors du temps à suivre les personnages au milieu des chaises, de la buvette, à la billetterie. On se disperse. Quand les images filmées prennent le pas sur le plateau, on prend de la distance, et ce d’autant plus aisément que la caméra tangue et que les voix se perdent sous le chant des cigales. Le son est d’ailleurs problématique puisque plusieurs personnages sont inaudibles quand on est aussi au fond de la salle, sous les souffleries. On peine à croire que les comédiens du Conservatoire ne savent pas donner de la voix. S’agit-il d’un choix de mise en scène ? Les comédiens veulent-ils symboliser la transparence d’un meurtrier qui veut s’effacer et disparaître ? On peut s’interroger sur la pertinence de ce choix.
Ainsi, le spectacle de Yann-Joël Collin et des élèves du Conservatoire national supérieur d’art dramatique offre incontestablement une réflexion pertinente sur la violence et la monstruosité. Le premier extrait du monologue de Gabily nous fait croire que l’on sera bouleversé. Toutefois, la scénographie tend à mettre le spectateur à distance, le plaçant dans une posture d’analyse plus que d’émotion. ¶
Anne Cassou-Noguès
Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès et Prologue. Sur le théâtre, de Didier-George Gabily
Mise en scène : Yann-Joël Collin
Dramaturgie : Pascal Collin
Avec : James Borniche, Louise Chevillotte, Manon Chircen, Marceau Deschamps-Ségura, Charlie Fabert, Louise Guillaume, Florent Hu, Roman Jean-Elie, Hugues Jourdain, Jean-Frédéric Lemoues, Sipan Mouradian, Morgane Real, Roxanne Roux, Léa Tissier, Alexiane Torres et Sélim Zahrani
Photo : © Christophe Raynaud De Lage
Gymnase du Lycée Saint-Joseph • 62, rue des Lices • 84000 Avignon
Dans le cadre du Festival d’Avignon
Du 11 au 13 juillet 2017, à 17 heures
Billetterie : 04 90 14 14 14
Durée : 2 h 20
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