Le mythe à l’épreuve de la meute
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
La compagnie des Chiens-Andalous mord à pleines dents dans le texte de Shakespeare pour en extraire toute la superbe de la jeunesse.
Il faut une certaine audace pour s’atteler à l’histoire d’amour légendaire de Roméo et Juliette. Et c’est peut-être bien le privilège des jeunes compagnies que de relever de tels défis. Transposée, détournée, interprétée et réinterprétée, la pièce de Shakespeare est tellement ancrée dans l’imaginaire collectif qu’on en perdrait presque de vue la lettre originelle. Les Chiens andalous reviennent donc au texte pour ne pas se complaire dans les clichés shakespeariens. Il en ressort une interprétation fougueuse qui met à l’honneur la jeunesse dans tout ce qu’elle peut avoir de violent, de ses accès de haine à ses élans amoureux.
Les amants de Vérone suivent leur course folle au rythme de la musique électronique de Zerkalâ. Le D.J. livre une performance en direct qui ne laisse aucun doute sur le parti pris ultramoderne de la pièce. Loin d’être une contrainte de mise en scène, l’accompagnement sonore semble être un personnage à part entière qui nous immerge dans une atmosphère onirique.
Cet état de demi-sommeil propice au rêve est également entretenu par les jeux de lumière. La pénombre est percée par de rares faisceaux lumineux : les flashs stroboscopiques lors de la fête chez les Capulet, la porte ornée de diodes sous laquelle Roméo et Juliette se marient, les lampes qui permettent de découper les ombres des deux amants pour la scène dite « du balcon »… Des sources lumineuses qui accompagnent les dialogues amoureux et qui sont comme un pied de nez désespéré à l’ambiance sépulcrale généralisée qui préfigure la scène finale du caveau.
Le mélange d’onirisme et de fatalité se retrouve dans le choix de personnifier la reine Mab. Dans le texte de Shakespeare, l’évocation de la déesse des songes fait l’objet de plusieurs envolées lyriques. Cette évocation se fait ici invocation : la reine Mab est une présence silencieuse lors des scènes en lien avec les rêves ou la mort. Ses apparitions par intermittence sont également de rares moments de ralentissement dans la marche folle du destin de Roméo et Juliette. Rappelons que l’histoire d’amour est censée se dérouler en moins d’une semaine, d’où la nécessité de porter à l’extrême le rythme des péripéties et l’intensité des émotions.
Les comédiens réussissent à nous tenir en haleine en faisant preuve d’une plaisante énergie. Malgré une distribution un rien inégale – notamment pour ce qui est des figures d’autorité souvent moins crédibles lorsque interprétées par de jeunes acteurs –, on apprécie la belle complicité qui règne sur scène. Le duo amoureux incarné par Marion Conejero et Thomas Silberstein est troublant de sincérité. Confirmation s’il en fallait que l’histoire des amants de Vérone peut encore nous émouvoir. ¶
Bénédicte Fantin
Roméo et Juliette, de William Shakespeare
Mise en scène : Marion Conejero
Avec : Marion Conejero, Jean‑Charles Garcia, Alexandre Gonin, Luca Gucciardi, Mateo Lavina, Pauline Marbot, Hadrien Peters, Karl Philippe, Paul Relet, Thomas Silberstein, Danièle Yondo
Musique : Zerkalâ
Costumes : Michèle Pezzin
Lumières : Vincent Mongourdin
Décors : Pierre Mathiaut
Régisseur : Philippe Sourdive
Photos : © Lisa Lesourd et Arnaud Moro
Théâtre de Ménilmontant • 15 rue du Retrait • 75020 Paris
Réservations : 01 46 36 98 60
Site du théâtre : www.menilmontant.info
Métro : Gambetta
Les 15 et 22 février puis les 1er et 8 mars 2017 à 21 heures
Durée : 2 heures
16 € | 12 € | 10 € | 8 €