Ultramodernes, ultra touchantes solitudes
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Porté par une direction d’acteurs originale, « Rose my dear » de la compagnie Navta ouvre des abîmes de réflexion sur les existences fanées et nous touche. Alors, mignons spectateurs, venez cueillir cette délicate fleur spectaculaire
Rose, my dear est une histoire de femmes. L’une d’elles est bien évidemment le personnage éponyme : une Rose aux forts parfums et aux épines redoutables. Gare à qui viendrait casser les pieds de cette septuagénaire ! Elle tient son bar depuis des décennies et le remettra vite à sa place. Si le spectacle, créé pour être interprété dans des cafés, brise le quatrième mur, Léa Miguel interprète de Rose, ne s’en laisse pas pour autant conter par les spectateurs. Les moments de dialogue avec le public, improvisés, sont souvent hauts en couleurs.
Pour créer le personnage, Marie-Anne Denis s’est inspirée d’une femme à qui elle rend hommage à la fin de la pièce, mais elle a su la transfigurer par l’écriture. Toutefois, le deuxième personnage de la pièce s’impose par un fort effet de réel : Jean-Luc Guitton incarne Philippe, un habitué du bar, qui pourrait sortir d’un film de Xavier Beauvois ou des frères Dardenne. La pesanteur de son corps, son phrasé comme alourdi par le vin et le poids de la vie sont saisissants. À côté de lui, le jeu de Léa Miguel offre un vif contraste, puisque Rose fait plutôt songer, elle, à Arletty. Belle direction d’acteurs.
Entre naturalisme et fantastique
Quant à l’écriture, elle sait faire alterner gravité et humour, comme la vie, quand même souvent les montagnes russes. Surtout, ses zones d’ombre permettraient de suivre aussi bien une sente naturaliste que fantastique. Le bar de Rose, à l’instar de celui des Vieux d’Ionesco dans Les Chaises, ressemble à une île perdue au milieu d’un désastre. Seule la parole de la patronne le relie au monde. Mais cette parole est-elle fiable ? Rêve, réalité, mensonge ? Le fils de Rose, par exemple, ce fils conçu si tôt (trop tôt) est-il vivant ? Pourquoi reste-t-il alors confiné dans les limbes du plateau ?
La scénographie et le jeu confortent ces choix. Ainsi, la pendule est arrêtée. Comme dans Le Grand Meaulne, nous voici conviés à une fête étrange. Rose pend-elle sa crémaillère comme elle le claironne en nous accueillant ? Ou bien hante-t-elle les lieux depuis des années, prisonnière autant que maîtresse de son antre ? Le choix de la faire interpréter par Léa Miguel, jeune actrice à l’énergie folle, vient encore brouiller l’ancrage temporel. Et puis, hormis les spectateurs, le bar n’accueille que Philippe, présence fantomatique toujours prête à s’abolir en coulisse. Les corps semblent bien solubles dans l’alcool. Même Rose, si terrienne, se mue finalement en voix.
Ce que souffrent les roses…
Étrange spectacle qui parvient à faire ressentir le chagrin des vies gâchées mezzo voce, qui, dans un bar bondé de spectateurs, restitue l’ultramoderne solitude. Étrange spectacle qui choisit de faire palper la complexité d’une relation humaine en opposant deux types de jeux. Étrange spectacle qui parvient à créer de l’empathie pour une femme aux discours xénophobes et pour un pauvre type aviné. Délicat spectacle qui revisite de manière contemporaine le « carpe diem », montrant la violence du temps qui passe, en même temps que la force des roses étiolées.
Ce spectacle a bien une âme et, à Expression 7, théâtre lui-même animé à tous les sens du terme, il trouve un bel écrin pour l’éclosion, ou plutôt l’épanouissement du talent de la compagnie Navta. 🔴
Laura Plas
Rose my dear, de la cie Navta
Texte et mise en scène : Marie-Anne Denis
Avec : Jean-Luc Guitton et Léa Miguel
Durée : 1 heure
Dès 12 ans
Théâtre Expression 7 • 20, rue de la Réforme • 87000 Limoges
Le 18 novembre 2022 à 20 heures
De 8 € à 15 €
Réservations : 05 55 77 37 50