« Un poème pour voix et corps humains »
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Laurence Vielle ne fait qu’un avec le texte de Laurent Fréchuret, poème impressionniste sur la vie de Jeanne d’Arc.
On ne sait pas pourquoi, on la voyait plus petite, Laurence Vielle. Peut-être cette allure de lutin facétieux et cette posture légèrement voûtée qu’on lui voyait sur les photos et les affiches. Il n’en est rien : la comédienne est plutôt grande, et, en fait de lutin voûté, se tient une grande gigue dégingandée. L’œil allumé, déjà comme dans un autre monde, elle fixe certains spectateurs du regard : difficile de soutenir ce regard-là, à la fois aimable et légèrement inquiétant.
C’est dans ce corps protéiforme que prend vie ce long poème qu’est Sainte dans l’incendie. Un corps funambulesque, funamburlesque pourrait-on dire, quand Laurence Vielle tend comiquement les bras, saute d’une jambe sur l’autre, suggère du bout des mains un plongeon à l’évocation des « bords de Meuse ». Elle transcende bien vite ces attitudes stéréotypées de l’enfance et de la fragilité : genoux en dedans et voix étrange. Le corps se libère et la voix est modulée, sans jamais quitter ce timbre curieux qui achève de situer le discours dans un entre-deux où toutes les fantaisies et toutes les explorations semblent permises.
Des images parfois cocasses
Il fallait bien cela pour incarner le texte de Laurent Fréchuret – on avait envie d’écrire Laurence, tant le binôme doit œuvrer de concert. Certes, il s’agit bien de Jeanne d’Arc, mais, quant à parler d’une « histoire de Jeanne d’Arc », c’est une autre affaire. Sainte dans l’incendie, ce n’est pas Secrets d’histoire. Il faut se laisser porter, étonner, par un flot poétique, une écriture impressionniste faite d’images parfois cocasses. C’est ainsi que Jeanne a « le sentiment d’avoir un mur mitoyen avec Dieu » et que la voix de la Vierge « résonne comme dans la salle de bain ».
La modernité de ce langage entre en collision avec le mysticisme simple de la Pucelle et les épisodes tragiques attestés par l’histoire : procès humiliant de Jeanne, interminables souffrances sur le bûcher. Tout cela est aussi présent dans Sainte dans l’incendie. Certes, Laurence Vielle n’incarne pas Jeanne à proprement parler, elle en parle à la troisième personne. On pourrait davantage la décrire – et cela n’en rend que plus forte l’évocation – comme une sorte de pythie par la voix et le corps de qui jaillirait ce récit hallucinant et halluciné. En définitive, a-t-on appris quelque chose sur Jeanne d’Arc ? Pas vraiment. On ressort plutôt épaté par la force du théâtre lui-même, par l’espace de liberté qui autorise (presque) tout, par la grâce d’un texte et d’une interprétation uniques. ¶
Céline Doukhan
Sainte dans l’incendie, de Laurent Fréchuret
Éditions Les Solitaires intempestifs, 2010
Mise en scène : Laurent Fréchuret
Avec : Laurence Vielle
Lumières : Éric Rossi
Musique : Dominique Lentin
Photo : © Giovanni Cittadini Cesi
Directeur de production : Slimane Mouhoub
E.V.É. (espace de vie étudiante) • avenue Olivier-Messiaen • 72000 Le Mans
Réservations : 02 43 50 21 50
Les 12, 14 et 15 novembre 2013 à 20 h 30, le 13 novembre à 19 heures
Durée : 1 h 5
20 € | 14 € | 8 €