Hip‑hop entre grâce et férocité
Par Anne Losq
Les Trois Coups
Le Théâtre Gérard-Philipe se remplit de collégiens venus avec leurs professeurs s’initier à l’expérience théâtrale. Il s’agit d’un public difficile à séduire, et, lors des premiers instants de spectacle, je me demande si les interprètes vont parvenir à entraîner ces jeunes spectateurs dans leur univers. Mais, très vite, le silence se fait. Place alors à une interprétation nuancée et dansée du texte « Saleté » de Robert Schneider. Réflexion acérée sur l’immigration et mouvements virtuoses de hip‑hop se répondent et se rejoignent.
Sad est un immigré clandestin irakien qui vend des roses en Allemagne. Son récit, fil conducteur du spectacle, devient de plus en plus dérangeant à mesure que des bribes de discours raciste s’immiscent dans ses pensées et altère profondément sa vision de lui-même. En effet, le personnage de Sad n’a plus confiance en lui au point de minimiser son statut d’être humain et de déclarer son infériorité culturelle par rapport aux Allemands.
Avec ce texte, Schneider nous donne à voir ce qu’est le comble du racisme : quand la victime s’identifie avec son agresseur au point de se considérer elle-même comme une « saleté ». Texte dur à mettre en scène, puisqu’il est fondamentalement désespérant. Si la victime est dépossédée de tout mécanisme de défense – sa fierté, son orgueil, sa confiance –, quel espoir reste‑t‑il pour qu’elle puisse survivre dignement ?
D’où l’idée intelligente du metteur en scène et chorégraphe Farid Ounchiouene de faire parler les corps, qui, eux, lancent des ultimes appels à la liberté. Le hip-hop qui est proposé ici allie rigueur et légèreté. La discipline de la danse ne minimise pas l’élan vital du mouvement : au contraire, elle l’amplifie, elle l’énergise. Les danseurs ont non seulement une technique irréprochable, mais aussi des talents d’interprétation. Ce qui en résulte est une mise en rapport foisonnante et surprenante d’un texte complexe et d’une danse exigeante. Le public est confronté à un spectacle nuancé et paradoxal. Un spectacle qui n’offre pas de réponses faciles, mais qui aiguise notre réflexion et notre compréhension de l’autre.
En tant que spectatrice, je me dois quand même de préciser que l’univers de ce spectacle se révèle très masculin… et peu (pas ?) de femmes dans l’équipe de création. Dommage, car elles auraient sans doute proposé d’autres paradoxes et d’autres complexités, enrichissant encore davantage ce beau spectacle. ¶
Anne Losq
Saleté, de Robert Schneider
Cie Farid’O
Chorégraphie et mise en scène : Farid Ounchiouene
Traduction française : Claude Porcell
Avec : Ludovic Tronche, Jérémy Orville, Alexandre Blondel, Farid Ounchiouene
Lumières : François Cordonnier
Musique originale et régie son : Romuald Houziaux
Photo : © Bruno Dewaele
Théâtre Gérard-Philipe • 5, boulevard Jules-Guesde • 93200 Saint‑Denis
Réservations : 01 48 13 70 00
Du 23 mars au 12 avril 2009 à 21 heures, dimanche à 18 heures, relâche les 24, 26, 30, 31 mars 2009 et 2, 6, 8, 10 avril 2009
Durée : 1 heure
20 € | 15 € | 13 € | 10 € | 6 €