Cavale amoureuse
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Road trip haletant et histoire d’amour transgressive, « Seasonal affective disorder » est une pièce à l’énergie folle. Pas d’effets de réel ni d’accessoires, seulement un plateau quasi nu et deux comédiens virtuoses : Anne-Lise Heimburger et Laurent Sauvage. Deux passeurs d’exception qui nous font entendre la beauté mystérieuse du texte de Lola Molina.
Vlad et Dolly se rencontrent dans un bar. Lui est un homme d’âge mûr, fatigué par la vie, elle une adolescente de 14 ans, imprévisible et sans limites avec autrui. La nuit se poursuit à l’Etap-hôtel de la Porte de Bagnolet. Puis, vient la fuite : rattrapés par le passé de Dolly, les deux amants tracent la route ensemble. Les spectateurs, complices, sont alors embarqués dans la cavale où le quotidien est fait de braquages d’épiceries, de grands moments de suspense et de parenthèses de désir.
Ce qui pourrait sembler glauque sur le papier devient, sous la plume de Lola Molina, une histoire pleine de pudeur et de poésie. Les personnages conservent une grande part de mystère. On sait peu de choses de leur passé, de leur milieu social ; on se laisse simplement happer par leur relation naissante. En alternant ainsi narration, dialogues et monologues intérieurs des personnages, Lola Molina assure des variations de rythme qui nous maintiennent en alerte. En outre, la scénographie et l’interprétation accompagnent le souffle de l’écriture.
Une scénographie holophonique
Lola Molina et le metteur en scène Lélio Plotton n’en sont pas à leur première collaboration. Ils ont créé ensemble la compagnie Léla, spécialisée dans la création d’espaces d’écoute collective et d’installations sonores. Il n’est donc pas étonnant que la scénographie de la pièce fasse la part belle au son et à la vidéo.
Les passages successifs des deux comédiens au micro font office de gros plans sonores proches du zoom cinématographique, tandis que l’écran présent sur le plateau fait défiler les kilomètres de macadam comme dans un rétroviseur. Les créations de Bastien Varigault et Jonathan Michel ont une fonction dramaturgique puisqu’ils symbolisent les changements de temps et d’espace, déchargeant ainsi les comédiens de l’impératif du réalisme. Mais le son et la vidéo suggèrent aussi l’évolution des états intérieurs des personnages. Les lieux traversés font naître des atmosphères inquiétantes, à l’image de l’angoisse qui habite les personnages en cavale.
L’habillage audiovisuel semble toutefois secondaire face à la présence scénique d’Anne-Lise Heimburger et Laurent Sauvage. Les comédiens se touchent à peine, se regardent peu et restituent dans cette pudeur toute la charge érotique contenue dans le texte.
La voix rocailleuse et profonde de Laurent Sauvage contraste avec la tonalité pleine de vie d’Anne-Lise Heimburger. Ces deux timbres nous parviennent avec la plus grande sincérité dans l’ambiance intimiste de la salle Paradis du Lucernaire. Anne-Lise Heimburger réussit à interpréter une gamine de 14 ans sans clichés. On croit sans peine à ce personnage de peste, aussi menaçante qu’attendrissante. Laurent Sauvage est, quant à lui, impeccable dans son rôle de gangster malgré lui. Les deux pieds ancrés dans le sol, face public, les comédiens nous font voyager par la force de leur jeu. Un aller-simple fulgurant pour un dénouement qu’on devine malheureux. ¶
Bénédicte Fantin
Seasonal affective disorder, de Lola Molina
Le texte est édité aux Éditions théâtrales
Mise en scène : Lélio Plotton
Avec : Anne-Lise Heimburger, Laurent Sauvage
Création sonore : Bastien Varigault
Création vidéo : Jonathan Michel
Création lumières : Françoise Michel
Durée : 1 h 30
Photo : © Victor Tonnelli
Lucernaire • 53 rue Notre-Dame-des-Champs • 75006 Paris
Du 14 février au 31 mars 2018, du mardi au samedi à 21 heures
De 11 € à 26 €
Réservations : 01 45 44 57 34
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