« Seras-tu là », de Solal Bouloudnine, Théâtre 13, à Paris

Seras-tu-là-Solal Bouloudnine

Six ans, onze mois et vingt jours !

Par Florence Douroux
Les Trois Coups

Un premier seul en scène et un coup de maître ! Le comédien marseillais Solal Bouloudnine parcourt son enfance émaillée de personnages hauts en couleur, traversée par la prise de conscience brutale que tout a une fin. Dans « Seras-tu là ? », titre référence à la chanson de Michel Berger, il tente avec brio de contourner un adversaire de taille : la mort.

Une grande chambre d’enfant des années 90, avec son lit tiroir bardé d’autocollants, ses faux billets de jeu partout en vrac, ses babioles-veilleuses, son téléphone en plastique… Dans une tenue maculée de tâches, le comédien mime une partie de tennis. Il court dans tous les sens, s’essouffle. Debout sur le lit, il joue l’arbitre. 30 / 40 : balle de match ! On ne le sait pas, mais le spectacle a commencé.

Seras-tu-là-Solal Bouloudnine
© Marie Charbonnier

C’est là, et depuis une poignée de minutes déjà, qu’il faut prendre le train en marche. Car Solal Bouloudnine vient de lancer sur scène un TGV d’images qui fera défiler à toute allure les évènements déterminants de son enfance, trouée par le drame de la disparition d’une idole. Certaines morts sont plus bouleversantes que d’autres. Pour le petit garçon Solal, celle de Michel Berger l’a été. 

TGV de la vie

Il est âgé de six ans onze mois et vingt jours, lorsque, dit-il, le choc s’abat dans son existence : le 2 août 1992, Michel Berger, décède d’une crise cardiaque à la suite d’une partie de tennis. En vacances dans une maison voisine, il entend tout : sirènes, pompiers, journalistes, fans par dizaines. « Ce jour-là, je suis sorti de l’enfance, j’ai réalisé qu’on pouvait mourir. J’ai tout à coup pris conscience du concept de finitude des choses… La vie, bien sûr, mais aussi l’amour, l’amitié, les fleurs, les animaux, les glaces… », raconte sur scène le comédien. C’est le fil rouge nostalgique de ce spectacle tellement drôle. Et si touchant.

Pour lutter contre l’angoisse obsessionnelle de la mort, Solal Bouloudnine ruse. Il tente de faire barrage à l’inévitable en le déjouant. Son spectacle renverse la chronologie. Pour que la mort ne soit plus finale, il déboite le temps, il le disloque. La fin au début, le début au milieu, le milieu à la fin. Chaque partie est une tranche de vie avec ses petits et grands drames : le tout étant d’évacuer, en premier, le grand dernier, cette « reine des fins », qui est la mort. Dans ce chaos temporel, aucun désordre pourtant. L’écriture, millimétrée, est d’une clarté sans faille.

Trois années de construction et déconstruction ont été nécessaires à Solal Bouloudnine et son co-auteur Maxime Mikolajczak pour écrire cette autofiction, tissée autour des souvenirs d’enfance du comédien. Il y interprète une galerie de personnages, met des perruques, prend des accents, navigue dans un décor empli d’accessoires, court partout, parle vite. Et bien. Son goût du jeu est indéniable. « J’ai toujours voulu jouer… C’est même la seule chose que j’ai commencée à faire, enfant, et que j’ai continué, adulte. J’ai grandi avec les Nuls, les Inconnus, j’adore les Monthy Python ».

Solal Bouloudnine entrechoque les émotions, superpose trash et poésie, outrance et tendresse, souvenirs et fiction délirante. Une maman juive qui ne doute de rien, un père chirurgien et une opération douteuse, une maitresse d’école au bord de la crise de nerf… ou encore une fonctionnaire faisant choisir aux parents les modalités de mort de leur enfant : cette mosaïque chamarrée est habilement dessinée, à grands coups d’audace et de talent.

One-man show inclassable, sur trame nostalgique Berger / Gall, avec quelques incursions dans leur vie, par le biais de vidéos officielles, et plongées dans celle du petit garçon, Solal Bouloudnine raconte et nous enchante. Et peu importe si la référence Berger ne touche pas tout le monde : les thèmes de la vie, la mort et l’enfance, le feront.

Le spectacle est minuté. Et on ne plaisante pas avec Chronos. Le temps de le claquer d’un trait : le plus sûr moyen de vivre, malgré l’issu fatale, c’est de jouer. Au petit garçon qu’il a été, choqué par la mort, l’adulte insuffle, hurle, cette leçon de vie que n’aurait pas reniée les épicuriens : « joue Solal ! Joue ce mach ! Essaye d’être heureux, ça vaut le coup ! » De la haute volée. 

Florence Douroux


Seras-tu là ?, de Solal Bouloudnine

Texte : Solal Bouloudnine, Maxime Mikolajczak avec la collaboration d’Olivier Veillon

Site dédié au spectacle

Mise en scène : Maxime Mikolajczak et Olivier Veillon

Avec : Solal Bouloudnine

Création lumière et son : François Duguest

Musique : Michel Berger

Costumes et accessoires : Élizabeth Cerqueira et François Gauthier-Lafaye

Durée : 1 h 20

Théâtre 13 • 30, rue du Chevaleret • 75013 Paris

Du 8 au 18 février 2022

Tél : 01 45 88 62 22

Réservation ici

Tournée :

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