Mise à nu
Par Aïda Asgharzadeh
Les Trois Coups
Après « Rêves », « Incendies », « Littoral » et « Forêts », le Théâtre 71 poursuit sa contribution à la dilatation du temps de Wajdi Mouawad et accueille cette saison la dernière création de la star québécoise. Cette fois, le maestro adulé pour la dimension lyrique et épique de ses sagas aborde un seul en scène qui dépasse la rétrospection cinématographique pour un retour aux origines beaucoup plus sensuel et intime. Voire trop intime ?
Harwan, étudiant libanais exilé à Montréal, prépare une thèse sur Robert Lepage, grande figure du théâtre québécois. Seul dans son appartement, il n’est dérangé que par les appels incessants de son père, de sa sœur ou de son directeur de thèse. Ce dernier l’empresse d’achever son travail afin d’obtenir le poste d’un professeur décédé. Pour ce, Harwan veut un entretien avec Lepage qui s’occupe d’un spectacle à Saint-Pétersbourg… Malencontreusement, la rencontre n’aura pas lieu, mais c’est l’occasion pour Harwan d’entamer une longue rétrospection, un dépouillement du paraître pour rejoindre l’enfance à travers une douloureuse renaissance.
Wajdi Mouawad aurait pu choisir un de ses comédiens pour interpréter le rôle d’Harwan, un de ses comédiens qui aurait sûrement été « meilleur » acteur que Mouawad… Seulement, Seuls est intimement lié à son créateur. Seuls s’inscrit dans et boucle si parfaitement la quête identitaire qui parcourt son œuvre qu’il nous devient à nous, public, tout aussi inconcevable que Mouawad de voir quelqu’un d’autre sur scène. L’émotion est intense dès l’entrée en salle : un homme va se dénuder sous nos yeux, pour nous, ou plutôt avec nous.
Car la remarque facile est de juger la pièce hermétique au public. D’y voir une performance personnelle et jouissive de l’artiste à se pavaner sur scène, auteur, metteur en scène et acteur unique, et à passer la moitié du spectacle à enduire de peinture son corps et le théâtre. D’y voir de la masturbation intellectuelle, en somme.
Au contraire, Wajdi Mouawad semble vouloir conjurer cette hypothèse tout d’abord par son titre, « Seuls » : qui est ce s ? Lui et son autre lui ? Sa famille ? Le public ? L’espèce humaine ? En outre, et cette fois comme à son habitude, Mouawad travaille tout en poésie, en couleurs et en sensations. Il confronte notre intellect à nos sens, l’entendement à la sensibilité. Enfin, il évite une concentration totale sur sa personne en rendant le spectacle polyphonique. Ici, sa scénographie toujours aussi remarquable, insère voix, images, projections, peinture, autant d’éléments aussi importants que les mots qui sortent de la bouche d’Harwan.
Avec Seuls, Wajdi Mouawad rompt avec ses anciennes mises en scène et ne s’enterre pas dans une conception artistique. Ses fans peuvent être déçus de ce revirement, mais s’ils sont disposés à recueillir quelque chose de nouveau et à ouvrir leurs sens et leur âme, il est probable qu’ils en ressortent avec une charge émotionnelle importante et entrent dans ce silence profond qui accompagne la fin d’un beau spectacle. ¶
Aïda Asgharzadeh
Seuls, de Wajdi Mouawad
Cie Au carré de l’hypoténuse
Texte, mise en scène et jeu : Wajdi Mouawad
Assistante à la mise en scène : Irène Afker
Dramaturgie : Charlotte Farcet
Collaboration artistique : François Ismert
Assistant artistique en tournée : Alain Roy
Scénographie : Emmanuel Clolus
Éclairage : Éric Champoux
Costumes : Isabelle Larivière
Réalisation sonore : Dominique Daviet
Direction technique : Laurent Copeaux
Régie générale et plateau : Jean Fortunato
Régie son : Olivier Renet
Régie lumières : Sonia Pauly et Didier Serieys
Régie vidéo : Dominique Mank
Photo : © Christophe Raynaud de Lage | Festival d’Avignon
Direction de production : Anne‑Lorraine Vigouroux
Théâtre 71 • 3, place du 11-Novembre • 92240 Malakoff
Réservations : 01 55 48 91 00
Du 12 au 30 novembre 2008 à 20 h 30, mercredi et jeudi à 19 h 30, vendredi et samedi à 20 h 30, dimanche à 16 heures, relâche lundi et mardi
Durée : 2 heures
23 € | 16 € | 13 € | 11 € | 9 €