Un dernier pour la route
Par Aurore Krol
Les Trois Coups
Avec « Sic(k) », le Théâtre à Cru dresse un état des lieux de l’addiction. Où commence-t-elle, par quoi est-elle motivée, peut-elle se limiter ? Les témoignages se succèdent dans un décor de fin de soirée, mêlant les paroles de personnes célèbres et d’anonymes. Le propos et subtil, les comédiens très justes.
Alcools, cigarettes, drogues et stupéfiants sont chargés d’un fort potentiel cinématographique et romanesque. Le geste du fumeur ou du buveur de whisky est sublimé dans bon nombre de films noirs, quand s’en griller une à la sortie d’un bar fait partie des rituels socialisants. Fantasmées, ces actions sont associées à des valeurs épicuriennes et sensuelles. Les maladies comme l’alcoolisme, par contre, sont des souffrances banales, souvent minimisées ou non nommées.
Ce sont les deux faces de cette même médaille que pointe Sic(k). De fêtes en lendemains nauséeux, sans jamais donner de leçon ou de direction morale, la pièce agit comme un constat qui fait parfois froid dans le dos quand il va explorer les versants sombres de nos états seconds.
L’addiction devient mythologie
Sur le plateau, un panneau publicitaire lumineux arbore deux lettres défectueuses. Par cet incident, Ricard se transforme en Icar et l’addiction devient mythologie. Plusieurs personnages vont tour à tour raconter l’élévation, l’impression de toucher le ciel, puis la chute dans laquelle les entraîne leur liaison à différentes boissons ou drogues.
Non figé, le spectacle s’est construit à partir d’entretiens qu’Alexis Armengol a réalisés auprès d’interlocuteurs ayant un rapport de proximité à l’addiction, mais aussi chez des professionnels de la santé. Ces enregistrements, dont certains sont diffusés et d’autres reconstitués au plateau, forment une mosaïque de bribes sonores, pour un effet stroboscopique fidèle au monde de la nuit.
L’emphase des déclarations avinées d’inconnus entrecroise des extraits de films et les citations de Deleuze ou d’autres intellectuels. Le tout non sans humour. Car, au bout du compte, on ne sait plus qui dit quoi ni s’il faut donner du crédit à la poésie bizarre de ces échos de comptoir mis au même rang que des paroles d’experts ou d’artistes.
Il y a quelque chose de fascinant dans la parole ivre et dans son euphorie. Une sorte d’intensité, de vérité dans l’ici et maintenant, qui s’estompe à mesure que l’on redescend. Les silhouettes des comédiens ont quelque chose de cette courbe émotionnelle : on ne sait jamais trop si elles sont à la fête ou au désespoir. Il faut d’ailleurs saluer la performance des quatre interprètes, tous d’une crédibilité sans faille pour mimer la dépendance.
Oscillant entre attraction et répulsion, égratignant au passage le politiquement correct des avertissements santé, qui n’est rien d’autre que la marque d’une époque nouvelle, la narration est en spirale, circulaire et concentrique. Ce rythme lancinant, renforcé par des passages musicaux live, est des plus efficaces. Pourtant, il finit presque par irriter, tant on a l’impression qu’aucune leçon ne sera tirée de tout cela.
Effectivement, on aurait pu espérer qu’une troisième voix s’ouvre pour sortir de la configuration binaire du paradis artificiel ou du tout préventif. Cette brèche vers des façons différentes d’aller bien, d’entrer en communion ou de se surpasser, ne viendra pas. La conclusion, au contraire, semble boucler la boucle de l’engrenage sans fin. Mais il n’y a pas de solution miracle, et le Théâtre à Cru nous montre une matière brute et réelle, qu’il n’a peut-être pas vocation à embellir. La porte vers d’autres possibles, c’est au spectateur de la trouver. ¶
Aurore Krol
Sic(k), d’Alexis Armengol
Réalisation des entretiens, conception et interprétation : Alexis Armengol
Interprétation : Édith Baldy, Claudine Baschet
Interprétation, composition et guitare : Rémi Cassabé
Collaboration artistique : Pierre Humbert
Assistant à la mise en scène : Alexandre Le Nours
Création lumière : Pascale Bongiovanni
Construction : Gérald Bouvet et Florian Fourmy
Conseils techniques : Jean-Baptiste Dupont et Antoine Guillaume
Scénographie : Sammy Engramer
Régie lumière : Stéphane Foucher
Diffusion / costumes : Audrey Gendre
Programmation vidéo : Brice Kartmann
Photos et réalisations vidéo : Mélanie Loisel
Photo du spectacle : © Alexandre Le Nours
Production : Marie Lucet
Administration et régie générale : Isabelle Vignaud
Création et régie son : Matthieu Villoteau
Dans le cadre du festival Mythos
Renseignements / billetterie : 02 99 79 00 11
Théâtre de la Parcheminerie • 23, rue de la Parcheminerie • 35000 Rennes
Vendredi 10 avril 2015, à 18 heures ; samedi 11 avril 2015, à 21 heures
Durée : 1 heure
Tarifs : de 15 € à 6 €