De sombres héros réjouissants et festifs
Par Jean‑François Picaut
Les Trois Coups
Le festival Mettre en scène s’ouvre au Théâtre national de Bretagne, à Rennes, par un spectacle drôle et léger de Philippe Decouflé, auquel les spectateurs font un véritable triomphe.
Deux hommes, côté jardin, et deux femmes, côté cour, vêtus de noir et de blanc, coiffés de sombreros, font leur entrée par le fond de la salle. Leur lente descente des marches jusqu’à la scène est accompagnée par un air latino-américain interprété par l’orchestre qui se tient sur le proscénium, côté cour. Un comédien-danseur profère : « François est un allumé (éteint / allumé ?). François, notre héros, est triste et sombre, quel sombre héros ! ». Et, par ces à-peu‑près, ces calembours, le spectacle, mélange de danse et de théâtre, théâtre d’ombre et de lumière, est lancé, dans un tourbillon poétique et ludique qui ne s’arrêtera plus pendant une heure trente.
Toute la première partie de ce jeu entre les danseurs et leur(s) ombre(s) est en noir et blanc. Nous sommes en pleine féerie, et la beauté des corps comme des costumes est à couper le souffle : transparence des longues jupes plissées portées par des hommes ou des femmes, mouvement tournant de ces jupes qui évoque fugitivement celui des derviches. La fluidité des gestes est telle que la grâce efface toute trace d’effort. La maîtrise de la lumière multiplie les (n)ombres sur un plan coupé incliné, noir et blanc, puis les ombres chinoises, sur le sol ou à l’écran. Sommes-nous seulement dans le ludique ou déjà dans le poétique ? Étions-nous fatigués ? La deuxième partie, en couleurs, nous a paru moins inventive, faite de « numéros » techniquement parfaits mais décousus, comme le fil de la narration. Là, cependant, on sent et on sait qu’il s’agit d’un décalage voulu.
Nous en retiendrons quelques images et, d’abord, celle d’un homme qui se met à nu et se rhabille, dans un jeu de pile ou face étourdissant, mêlant les vues de face et de dos à ne plus s’y retrouver. Nous avons bien aimé aussi une séquence de ski nautique imaginaire et virtuose, puis l’apparition des sombreros qui multiplie les images de façon labyrinthique. On a trouvé plutôt inspiré un duo qui est une rencontre d’ombres avant que les corps ne se trouvent. Et puis, il y a le finale qui est un hommage à Ennio Morricone : une selle de cheval est posée sur un tonnelet, et un homme est assis sur cette monture de fortune. La multiplication à perte de vue de son reflet en mouvement rend à la fois l’impression de chevauchée et d’infini. Superbe !
On nous avait aimablement prévenus au début du spectacle qu’une abolition du monde réel aurait lieu, mais qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, car « notre moi socioculturel nous attendrait sagement à la sortie ». Le seul regret qu’on ait, peut-être, en sortant de ce spectacle qui nous entraîne dans un mode de beauté et de légèreté, c’est que le retour au réel soit si brutal. ¶
Jean‑François Picaut
Sombreros, de Philippe Decouflé
Direction artistique : Philippe Decouflé
Avec : Bertrand Belin / Olivier Daviaud (en alternance), Clément Gailliard, Yannick Jory, Sébastien Libolt, Alexandra Naudet, Leïla Pasquier, Manon Andersen, Christophe Salengro, Olivier Simola / Flavien Bernezet (en alternance), Christophe Waskmann
Scénographie : Patrice Besombes, Philippe Decouflé
Création musicale : Brian Eno, Sébastien Libolt
Textes : Claude Pont, Christophe Salengro
Lumières : Patrice Besombes, assisté de Begona García Navas
Costumes : Jean Malo, Philippe Guillotel, Morgane Olivier
Création d’images : Olivier Simola, Christophe Waksmann, Laurent Radanovic, Roméo Ricard, Dominique Willoughby
Son : Jean‑Pierre Spirli
Machinerie : Pierre‑Jean Verbraeken
Régie vidéo : Laurent Radanovic
Régie plateau : Pascal Redon, Léon Bony
Photo : © Laurent Philippe
Direction de production : Frank Piquard, assisté de Valérie Kula
Production déléguée : Cie D.C.A., Philippe Decouflé
Coproduction : Théâtre national de Chaillot, Grand Théâtre de Luxembourg, Théâtre de Nîmes, la Coursive, scène nationale de La Rochelle, Torino Danza, Sadler’s Wells
Philippe Decouflé est artiste associé au T.N.B. à partir de janvier 2010.
Théâtre national de Bretagne • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes
Billetterie : 02 99 31 12 31
Du 5 au 14 novembre 2009 (salle Vilar)
Durée : 1 h 30
23 € | 12 € | 8 €
Samedi 14 novembre 2009, rencontre avec l’équipe artistique, T.N.B. (Rennes), espace rencontre à 18 heures
Mercredi 18 et jeudi 19 novembre 2009 au Théâtre de Cornouaille à Quimper