« Songes et métamorphoses », de Guillaume Vincent, le Lieu unique à Nantes

« Songes et métamorphoses » © Élisabeth Carecchio

Une mélodie entêtante

Par Marion Le Nevet
Les Trois Coups

Le metteur en scène prodige issu du Théâtre national de Strasbourg croise « le Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare avec « les Métamorphoses » d’Ovide dans une réécriture moderne et onirique. Un spectacle hypnotisant.

Guillaume Vincent est un maître. De ceux qui peuvent tout faire et n’ont pas peur. Sans ostentation mais avec une classe infinie, ses spectacles sont des pépites qui illuminent le théâtre français de demain. Après le monologue minimaliste et quasi documentaire Rendez-vous gare de l’Est, le jeune quarantenaire revient à un théâtre d’envergure, construisant des images d’une finition et d’un montage très cinématographiques.

Croiser les mythes, ceux de la mythologie grecque des œuvres de Shakespeare et Ovide, et ceux de notre génération, c’est faire remonter des thèmes universels : la désillusion quant à sa destinée, la foi en son devoir… Accepter la désuétude de ces thèmes, en rire (jaune) dans une transposition actuelle, c’est faire théâtre de tout : être acteur de sa vie, en faire une épopée, se battre contre ses moulins du quotidien. Et il est bien question de théâtre dans cette pièce aux multiples tiroirs et abîmes qui, comme dans le Songe d’une nuit d’été, montre ses personnages en représentation. Porteurs de leur propre message et témoins de la vulnérabilité de leur société. Guillaume Vincent allège ainsi les textes classiques, sans les édulcorer. Sauts d’époques, échos et allers-retours entre les contextes, il en fait un conte, une constellation, noire et brillante, lieu de tous les fantasmes, pensées et actions inavouables.

L’ambiguïté sexuelle est présente de façon récurrente, moins comme une problématique que comme un choix de traitement des personnages, telles des créatures dont le sexe importe peu. Les corps sont galvanisés, leurs enjeux modernes se frottant à leurs figures ancestrales. On célèbre l’émancipation, tout en faisant planer la sinistre ironie de la fatalité, qui prédestine encore chacun à sa place. Si les mythes anciens sont limpides, leur versant contemporain nous trouble par son adresse très directe. Naviguant de la Grèce antique au présent, on observe avant tout des comédiens, des individus, une petite équipe mouvante dans laquelle chacun glisse d’un personnage à un autre avec cohérence. Avec cette même cohérence, les acteurs manient le texte classique avec autant de naturel qu’un langage plus actuel. La rage de l’amoureuse éconduite élisabéthaine est sur un plan équivalent à celui de la lycéenne en crise.

Respecter l’imaginaire collectif tout en réinventant ses propres légendes

Lumière, son et décors sont exploités avec perfectionnisme et fluidité pour reconstituer les images attendues. Narcisse et son reflet, Pygmalion et sa statue, Bottom avec sa tête d’âne… Sérieux et ironiques à la fois, les tableaux respectent l’imaginaire collectif tout en réinventant leurs propres légendes. Le grandiose naît autant dans l’onirisme que dans des bouffonneries singeant le symbolisme du théâtre contemporain. Guillaume Vincent nous présente un spectacle humble, se jouant des codes du théâtre tout en pointant les failles de son système. « Nous ferons mieux la prochaine fois », nous promet Puck dans son monologue final.

On rit, on tremble, les yeux écarquillés. On se laisse ainsi transporter par les décors magnifiques, les transitions ingénieuses et surprenantes, les chants envoûtants, comme des enfants à qui on raconte une vieille histoire. Une histoire un peu terrifiante, un peu datée, mais dont on sent la force qui traverse le temps. C’est beau, c’est grand, c’est spectaculaire, proche de nous et haut aussi, très haut. 

Marion Le Nevet


Songes et métamorphoses, de Guillaume Vincent

Traduction : Jean‑Michel Déprats

Mise en scène et texte : Guillaume Vincent

Avec : Elsa Agnès, Candice Bouchet, Elsa Guedj, Émilie Incerti Formentini, Florence Janas, Hector Manuel, Estelle Meyer, Alexandre Michel, Philippe Orivel, Makita Samba, Kyoko Takenaka, Charles Van de Vyver, Gérard Watkins, Charles‑Henri Wolff et la participation de Lucie Durand, David Jourdain, Muriel Valat, et les enfants : Vianney Bretin, Bérangère Legoff, Liou Neveu‑Raix, Mateo Vinzia

Dramaturgie : Marion Stoufflet

Scénographie : François Gauthier‑Lafaye en collaboration avec James Brandily et Pierre‑Guilhem Coste

Lumières : Niko Joubert en collaboration avec César Godefroy

Composition musicale : Olivier Pasquet et Philippe Orivel

Son : Géraldine Foucault en collaboration avec Florent Dalmas

Musiques : Benjamin Britten, Félix Mendelssohn, Henry Purcell

Costumes : Lucie Durand en collaboration avec Élisabeth Cerqueira et Gwenn Tillenon

Collaboration mouvement : Stéfany Ganachaud

Assistante à la mise en scène : Jane Piot

Répétiteur enfants : Pierre‑François Pommier

Régie générale et vidéo : Édouard Trichet Lespagnol

Régie plateau : Muriel Valat et David Jourdain

Régie micros : Rose Bruneau

Perruques et maquillages : Justine Denis

Maquillage : Mytil Brimeur

Marionnette : Bérangère Vantusso

Moulage : Anne Leray

Photo décor : Flavie Trichet Lespagnol

Coach vocal : Marlène Schaff

Communication / diffusion : Ninon Leclère

Production / administration : Laure Duqué et Simon Gelin

Crédit photos : © Élisabeth Carecchio

Le Lieu unique • quai Ferdinand‑Favre • 44000 Nantes

Réservations : 02 40 12 14 34

Site du théâtre : www.lelieuunique.com

Du 11 au 13 janvier 2017 à 19 heures

Durée : 3 h 50 avec entracte

22 € | 11 €

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories