Une mélodie entêtante
Par Marion Le Nevet
Les Trois Coups
Le metteur en scène prodige issu du Théâtre national de Strasbourg croise « le Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare avec « les Métamorphoses » d’Ovide dans une réécriture moderne et onirique. Un spectacle hypnotisant.
Guillaume Vincent est un maître. De ceux qui peuvent tout faire et n’ont pas peur. Sans ostentation mais avec une classe infinie, ses spectacles sont des pépites qui illuminent le théâtre français de demain. Après le monologue minimaliste et quasi documentaire Rendez-vous gare de l’Est, le jeune quarantenaire revient à un théâtre d’envergure, construisant des images d’une finition et d’un montage très cinématographiques.
Croiser les mythes, ceux de la mythologie grecque des œuvres de Shakespeare et Ovide, et ceux de notre génération, c’est faire remonter des thèmes universels : la désillusion quant à sa destinée, la foi en son devoir… Accepter la désuétude de ces thèmes, en rire (jaune) dans une transposition actuelle, c’est faire théâtre de tout : être acteur de sa vie, en faire une épopée, se battre contre ses moulins du quotidien. Et il est bien question de théâtre dans cette pièce aux multiples tiroirs et abîmes qui, comme dans le Songe d’une nuit d’été, montre ses personnages en représentation. Porteurs de leur propre message et témoins de la vulnérabilité de leur société. Guillaume Vincent allège ainsi les textes classiques, sans les édulcorer. Sauts d’époques, échos et allers-retours entre les contextes, il en fait un conte, une constellation, noire et brillante, lieu de tous les fantasmes, pensées et actions inavouables.
L’ambiguïté sexuelle est présente de façon récurrente, moins comme une problématique que comme un choix de traitement des personnages, telles des créatures dont le sexe importe peu. Les corps sont galvanisés, leurs enjeux modernes se frottant à leurs figures ancestrales. On célèbre l’émancipation, tout en faisant planer la sinistre ironie de la fatalité, qui prédestine encore chacun à sa place. Si les mythes anciens sont limpides, leur versant contemporain nous trouble par son adresse très directe. Naviguant de la Grèce antique au présent, on observe avant tout des comédiens, des individus, une petite équipe mouvante dans laquelle chacun glisse d’un personnage à un autre avec cohérence. Avec cette même cohérence, les acteurs manient le texte classique avec autant de naturel qu’un langage plus actuel. La rage de l’amoureuse éconduite élisabéthaine est sur un plan équivalent à celui de la lycéenne en crise.
Respecter l’imaginaire collectif tout en réinventant ses propres légendes
Lumière, son et décors sont exploités avec perfectionnisme et fluidité pour reconstituer les images attendues. Narcisse et son reflet, Pygmalion et sa statue, Bottom avec sa tête d’âne… Sérieux et ironiques à la fois, les tableaux respectent l’imaginaire collectif tout en réinventant leurs propres légendes. Le grandiose naît autant dans l’onirisme que dans des bouffonneries singeant le symbolisme du théâtre contemporain. Guillaume Vincent nous présente un spectacle humble, se jouant des codes du théâtre tout en pointant les failles de son système. « Nous ferons mieux la prochaine fois », nous promet Puck dans son monologue final.
On rit, on tremble, les yeux écarquillés. On se laisse ainsi transporter par les décors magnifiques, les transitions ingénieuses et surprenantes, les chants envoûtants, comme des enfants à qui on raconte une vieille histoire. Une histoire un peu terrifiante, un peu datée, mais dont on sent la force qui traverse le temps. C’est beau, c’est grand, c’est spectaculaire, proche de nous et haut aussi, très haut. ¶
Marion Le Nevet
Songes et métamorphoses, de Guillaume Vincent
Traduction : Jean‑Michel Déprats
Mise en scène et texte : Guillaume Vincent
Avec : Elsa Agnès, Candice Bouchet, Elsa Guedj, Émilie Incerti Formentini, Florence Janas, Hector Manuel, Estelle Meyer, Alexandre Michel, Philippe Orivel, Makita Samba, Kyoko Takenaka, Charles Van de Vyver, Gérard Watkins, Charles‑Henri Wolff et la participation de Lucie Durand, David Jourdain, Muriel Valat, et les enfants : Vianney Bretin, Bérangère Legoff, Liou Neveu‑Raix, Mateo Vinzia
Dramaturgie : Marion Stoufflet
Scénographie : François Gauthier‑Lafaye en collaboration avec James Brandily et Pierre‑Guilhem Coste
Lumières : Niko Joubert en collaboration avec César Godefroy
Composition musicale : Olivier Pasquet et Philippe Orivel
Son : Géraldine Foucault en collaboration avec Florent Dalmas
Musiques : Benjamin Britten, Félix Mendelssohn, Henry Purcell
Costumes : Lucie Durand en collaboration avec Élisabeth Cerqueira et Gwenn Tillenon
Collaboration mouvement : Stéfany Ganachaud
Assistante à la mise en scène : Jane Piot
Répétiteur enfants : Pierre‑François Pommier
Régie générale et vidéo : Édouard Trichet Lespagnol
Régie plateau : Muriel Valat et David Jourdain
Régie micros : Rose Bruneau
Perruques et maquillages : Justine Denis
Maquillage : Mytil Brimeur
Marionnette : Bérangère Vantusso
Moulage : Anne Leray
Photo décor : Flavie Trichet Lespagnol
Coach vocal : Marlène Schaff
Communication / diffusion : Ninon Leclère
Production / administration : Laure Duqué et Simon Gelin
Crédit photos : © Élisabeth Carecchio
Le Lieu unique • quai Ferdinand‑Favre • 44000 Nantes
Réservations : 02 40 12 14 34
Site du théâtre : www.lelieuunique.com
Du 11 au 13 janvier 2017 à 19 heures
Durée : 3 h 50 avec entracte
22 € | 11 €