« The Scarlet Letter», d’Angélica Liddell d’après Nathaniel Hawthorne, Théâtre de la Colline, à Paris

« The Scarlet Letter » d’Angélica Liddell © Simon Gosselin

Angélica Liddell : doxa contre doxa 

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Angélica Liddell, fidèle à sa sulfureuse réputation, propose une lecture iconoclaste du roman de Nathaniel Hawthorne : « La Lettre écarlate ». Un beau livre d’images baroques, où le pamphlet contre un nouveau puritanisme prend cependant les allures dogmatiques d’une Contre-Réforme.

Exclue de la communauté pour avoir aimé, marquée du sceau de l’infamie, l’Hester de La Lettre écarlate est une grande figure de l’oppression faite aux femmes. L’héroïne incarne les limites imposées par la Loi aux désirs, en particulier féminins. Un tel personnage ne pouvait que constituer une source d’inspiration au moment où les débats les plus virulents sont déchaînés par l’affaire Weinstein. On ne s’étonnera donc pas de voir Angélica Liddell faire du personnage un de ses avatars et proposer son interprétation de l’œuvre.

Cependant, nombre de spectateurs pourraient être déconcertés, voire choqués par la virulence misogyne de la lecture proposée par l’artiste espagnole, apparemment en contradiction avec d’autres de ses œuvres. N’oublions pas que rien ne stimule la passionaria comme la transgression et la provocation : à se demander si elle ne serait pas capable de contredire ses propos s’ils devenaient vulgate. Voici donc l’actrice, seule à deux reprises face au public à vociférer sa haine des femmes, présentées trop classiquement en jeunes putes baisables et viragos aigries. La voici à voler au secours des pauvres hommes victimes d’un nouveau puritanisme… La voici à proclamer : « Je vous remercie de me mépriser ».

« The Scarlet Letter » d’Angélica Liddell © Simon Gosselin
« The Scarlet Letter » d’Angélica Liddell © Simon Gosselin

Angélica super-martyr

On n’ira pas jusque au mépris, loin de là. Mais on se demandera si, pour mener sa croisade, la metteuse en scène n’impose pas une violence aussi grave que celle qu’elle dénonce. Car pour braver une doxa, elle semble parfois en constituer une nouvelle : que de généralités sont ainsi énoncées sur les âges, les sexes, la beauté ou le désir ! Que d’anathèmes pour un spectateur condamné à l’assentiment sous peine, sinon, d’être taxé d’imbécile ou d’ennemi des poètes !

À coup sûr, un artiste a droit à ses outrances. Ne sont-elles pas même la signature d’Angélica Liddell ? À coup sûr, il faut parfois donner des coups de boutoir aux certitudes. Mais, la metteuse en scène n’exagère-t-elle pas en présentant la menace d’un nouvel ordre moral qui aboutirait à la mise à l’Index de Baudelaire ou d’Artaud ? Et, en admettant qu’Angélica Liddell ait le droit de transfigurer La Lettre écarlate, a-t-elle celui de citer hors contexte et tronqué Michel Foucault ou Ray Bradbury afin de conforter son propos par ces autorités ?

Bref, on est parfois agacé, quand on n’éprouve pas l’envie de pouffer face aux cabotinages d’Angélica super-martyr, superstar. Les chromos sadomasos et les belles images font osciller le spectacle entre le grotesque et le sublime. Heureusement, cette incertitude réintroduit une forme de soupçon sur le propos. On se demandera au moins s’il n’y a pas une forme d’autodérision dans la Contre-réforme qu’elle nous présente.

« The Scarlet Letter » d’Angélica Liddell © Simon Gosselin
« The Scarlet Letter » d’Angélica Liddell © Simon Gosselin

Morbidezza

Enfin, à défaut d’être convaincu par le propos, on pourra admirer les talents de créatrice d’images d’Angélica Liddell. Se succèdent des tableaux empreints de morbidezza. Les corps nus d’archanges ou de Christs sont magnifiés par des postures improbables de mortification. Plus que des comédiens, les interprètes sont des danseurs ou, mieux, des modèles façonnés par maîtresse Liddell.

Car si elle proclame que les hommes sont beaux jusqu’à la mort, contrairement aux femmes, elle s’entoure étrangement d’Adonis. Aucun vieillard cacochyme ne gâche le tableau. Par ailleurs, le travail sur la lumière magnifie la mise en scène. Si, trop exhibée, la chair ne suscite pas le désir, on pourra l’apprécier en amateur de peinture.

The Scarlet Letter s’impose donc au musée Liddell, comme un exemple très esthétique de Contre-Réforme. Que les spectateurs choqués se rassurent, c’est bien la preuve que la Réforme a lieu… 

Laura Plas


The Scarlet Letter, d’Angélica Liddell

Très librement inspiré du texte de Nathaniel Hawthorne

Mise en scène : Angélica Liddell

Avec : Joele Anastasi, Tiago Costa, Julian Isenia, Angélica Liddell, Borja López, Tiago Mansilha, Daniel Matos, Eduardo Molina,  Nuno Nolasco, Antonio Pauletta, Antonio L. Pedraza, Sindo Puche

Durée : 1 h 40

À partir de 15 ans

Spectacle en espagnol, surtitré en français

Théâtre de la Colline • 15, rue Malte Brun • 75020 Paris

Du 10 au 26 janvier 2019, du mercredi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 15 h 30

De 10 € à 30,50 €

Réservations : 01 44 62 52 52


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Qué haré yo con esta espada ? d’Angélica Liddel, par Maud Sérusclat-Natale

☛ PrimeraCartadeSanPabloalosCorintios, CantataBWV4, ChristLaginTodesbanden, d’AngélicaLiddel, par AnnaColléoc

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