« The Voice of Nature », de Tim Spooner, T.J.P. grande scène à Strasbourg

The Voice of Nature © Benoît Schupp

Phénoménal

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Fort à propos dans le cadre d’un week-end consacré au hasard, « The Voice of Nature », l’une des dernières créations de Tim Spooner, a suscité le trouble parmi le public. Un spectacle cosmique d’un artiste singulier, pour ne pas dire « barré » !

Comment ordonner la confusion du monde pour en faire émerger la connaissance ? Jouant avec les accidents et l’imprévisible, l’artiste anglais aime se confronter aux matières en les triturant, jusqu’à tester leurs points de rupture. Sur la grande scène du T.J.P., transformée en arène, les matériaux et les forces physiques se déchaînent sous le contrôle relatif du manipulateur, Tim Spooner en personne.

Le point de départ de ce spectacle ? Les peintures qui représentent saint Thomas d’Aquin avec une colombe murmurant à son oreille. Captivé par cette imagerie médiévale, l’artiste anglais s’est demandé quelle pouvait bien être l’information chuchotée par l’oiseau, quelle langue il parlait. On serait tenté de dire : prétexte bien mince pour un spectacle ! Mais que veut nous transmettre Tim Spooner ? Ces drôles de créatures, venue du fond des âges pour l’une, et sans doute d’une lointaine planète pour l’autre, nous livrent des messages sybillins. De bien étranges voix qui méritent quand même d’explorer le sujet.

Fasciné par la manipulation d’objets, la marionnette, le dessin, l’écriture et le son, ce plasticien et performeur, qui vit à Londres, crée en effet des objets artistiques insolites, proches des installations d’art contemporain. Son travail, axé sur la convergence entre le monde physique et celui des idées, cherche à révéler les frontières du chaos. Sa tentative de contrôler les phénomènes d’effondrement l’a ainsi amené développer des techniques qui lui sont propres. Et sa personnalité intrigue. Il plane.

Ovni

Sur la scène encombrée d’un dispositif apparemment sophistiqué, ses constructions sont autant de structures fragiles soumises à un prétendu hasard. Fils enchevêtrés, objets animés « presque animaux », composent un fatras sans nom, que les déplacements et les interactions du manipulateur complexifient.

Peut-on totalement contrôler un espace en mouvement ? Voilà une des obsessions de ce chercheur expert en bidouillage. Car, contrairement aux scientifiques, Tim Spooner fonde sa démarche artistique sur les sensations. Plutôt que des éléments rationnels, il vise à révéler la qualité d’un processus. Et, pour cela, expérimente l’infiltration, dans le corps et l’esprit, des effets collatéraux provoqués par la succession d’évènements interconnectés, comme l’accident, la chute. Du coup, il teste nos seuils de tolérance, jouant avec les nerfs des spectateurs dans une ambiance sonore amplifiée, tandis que le narrateur diffuse la voix de la nature, un texte obscur qui délivre peu de clés.

Mais y a-t‑il justement quelque chose à comprendre ? Sauf que, malgré les apparences, notre monde ne tourne pas vraiment rond. Même le sous-titrage (en direct) fait des siennes, les lettres s’effaçant les unes après les autres, de droite à gauche. Comme la connaissance, bloquée dans sa diffusion, et le progrès, en l’occurrence technologique, facteur de dégénérescence. D’ailleurs, après avoir effectué un tour complet de ses installations, le manipulateur-narrateur refait marche arrière, débranchant les machines, une à une, jusqu’à être absorbé par le néant.

Tissée de la sorte dans l’étoffe rugueuse de cauchemars, cette fantasmagorie nous mène aux confins de mondes parallèles. En effet, à l’image de cette colombe venue transmettre à l’homme la connaissance divine, Tim Spooner s’intéresse au mystère de messages non humains. Sauf que l’artiste confronte la fragilité de nos vies à celles de forces tangibles qui donnent froid dans le dos. Malgré le parti pris du grotesque, cet oiseau noir, ces automates quasi incontrôlables, ces rats high-tech, tous sont de mauvais augure. L’homme n’aurait‑il pas su entendre les bons messages, celui de paix et du respect de la nature ? De quoi interpeler les moins réceptifs ! 

Léna Martinelli


The Voice of Nature, de Tim Spooner

http://www.tspooner.co.uk/

Avec : Tim Spooner

Traduction : Marine Thevenet

Assistante à l’artistique : Natacha Poledica

Costumes : Oliver Cronk

Photo : © Benoît Schupp

T.J.P.-C.D.N. d’Alsace • grande scène • 7, rue des balayeurs • 67000 Strasbourg 

Dans le cadre du week-end de janvier « La Part du hasard, jouer avec l’inconnu »

Réservations : 03 88 35 70 10

http://www.tjp-strasbourg.com/

Les 20 et 21 janvier 2017, à 20 h 30

Durée : entre 45 min et 60 min

À partir de 12 ans

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