Family Circus
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Jean-Christophe Meurisse et ses Chiens de Navarre, fidèles à leur humour dévastateur, dressent un portrait hystérique de la vie de famille.
L’entame du spectacle est tonitruante. Théâtralement, on se croit dans la Noce chez les petits bourgeois de Bertolt Brecht. Cinématographiquement on se souvient de Festen de Thomas Vinterberg. Ici, la génération des parents se lâche contre celle des enfants, au cours d’un repas de Noël copieusement arrosé. Propos cinglants, gestes violents ou obscènes transforment un jour de fête en un champ de bataille d’une cruauté sans retenue.
La décision de déshériter leur progéniture crée une situation délirante, signe évident de l’effondrement des valeurs familiales traditionnelles. Au terme de cette séquence superbement interprétée et diaboliquement rythmée, tout semble mis en place pour développer un théâtre satirique, doté d’une force de frappe critique salutaire. Malheureusement, ce qui suit apparaît comme une pesante répétition que la maîtrise des interprètes et des effets techniques ne parvient pas à estomper.
À la tronçonneuse
Jean-Christophe Meurisse, le metteur en scène, ne doit pas faire sien un théâtre que Roland Barthes définissait comme un art du détail. La tronçonneuse utilisée dans la première partie de la pièce semble lui avoir servi de stylo pour écrire la dramaturgie de Tout le monde ne peut pas être orphelin. En effet, il ne fait pas dans le détail. Virtuose à sa manière, il taille sur un rythme frénétique dans tous les genres. Parodies sanglantes grand-guignolesques des mythes fondateurs des tragédies familiales (Médée, Œdipe), gags potaches des situations intimes de la vie quotidienne (pets en cascade, cuvette des W.C. qui déborde), moments de stand-up racoleurs, bien que parfaitement assumés (délires physiques ou mentaux d’une fille ou d’un fils), sans oublier l’utilisation torrentielle d’une bande-son aux choix démagogiques (Concerto pour une voix à travers le monde de Saint-Preux, La Mamma de Charles Aznavour).
À noter enfin, le choix d’un espace bifrontal pour inclure les spectateurs dans une sorte de nasse, qui amplifie rires et battements de mains comme dans une émission publique de show télévisé. Résultat : au bout de vingt minutes, une atmosphère lourde d’ennui s’installe dans laquelle s’enlisent les rares propos politiques et satiriques ponctuant le spectacle.
C’est peu, mais on s’accroche quand même au dernier moment de la représentation. Dans une baignoire, le père vieilli et presque sourd, accepte que sa fille l’aide à faire sa toilette. Le temps de la tyrannie paternelle est passé. Les caresses pudiques de la jeune femme, l’abandon bougon du vieillard à la tendresse filiale mettent en jeu –il était temps – une bouleversante émotion. ¶
Michel Dieuaide
Tout le monde ne peut pas être orphelin
Les Chiens de Navarre
Mise en scène : Jean-Christophe Meurisse
Collaboration artistique : Amélie Philippe
Avec : Lorella Cravotto, Judith Siboni, Charlotte Laemmel, Vincent Lécuyer, Hector Manuel, Olivier Saladin, Alexendre Steiger
Régie générale : François Sallé
Décors et construction : François Gauthier-Lafay
Création et régie lumière : Stéphane Lebaleur, Jérôme Perez
Création et régie son : Isabelle Fuchs, Jean-François Thomelin
Régie plateau : Nicolas Guellier
Costumes : Sophie Rossignol
Production : Les Chiens de Navarre
Coproduction : Nuits de Fourvière, TAP-Théâtre Auditorium de Poitiers
La Villette Paris, Théâtredelacité-c.d.n Toulouse Occitanie, Tandem scène nationale , Le Volcan scène nationale du Havre, MC 93-maison de la culture de Seine-Saint Denis, Maison des Arts de Créteil
Nuits de Fourvière
Réservations : 04 72 32 00 00
Du 22 au 26 juin à 20 h 30
Tarifs : 24 € / 18 € / 12 €
Durée : 1 h 40