Ça laisse des traces
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
« Traces » fait un tabac. De Montréal à Séoul en passant par Barcelone, ce spectacle fait salle comble dans chaque ville où il est programmé. Après La Cigale, l’hiver dernier, la compagnie Les 7 Doigts de la main refait escale au Casino de Paris pendant les fêtes. Quel beau cadeau que ce cocktail vitaminé de voltige, basket et rock ! C’est époustouflant et décalé. Explosif !
Sur scène, le bric-à-brac invraisemblable situe l’action dans un bunker. Une toile de fond en lambeaux, un vieux piano en planches rafistolées, un fauteuil déglingué, quelques chaises et un pupitre d’écolier indiquent un avenir incertain. Réfugiés là pour vivre leurs derniers instants, les personnages se battent contre la montre. Leur temps est compté. L’imminence d’une nouvelle catastrophe les oblige à laisser des traces coûte que coûte. Leurs obsessions : éviter les non-dits, n’avoir aucun regret, sauver leur peau. Leur moyen de survie : la création comme antidote à la destruction. Et il faut dire que cette prise de risques sous-tendue par l’urgence profite plutôt bien au cirque. Quel plus beau défi que la fin du monde pour marquer son passage sur Terre de performances pleines de vie !
Des techniques traditionnelles mêlées aux arts de la rue
Pour sûr, ces artistes marquent leur création de leur empreinte originale. Unis comme les doigts de la main, la complicité des membres de ce collectif québécois – Les 7 Doigts de la main – saute aux yeux d’emblée. La troupe compte six interprètes, tous formés à l’École nationale du cirque de Montréal, dont une seule fille. Mais quelle présence ! Ces jeunes-là savent tout faire. Ou presque : du cirque, bien sûr, mais ils jouent aussi du piano, ils dansent, ils dessinent. Car Traces n’est pas un spectacle de cirque comme les autres. Mêlant les techniques acrobatiques traditionnelles aux arts de la rue (skateboard, basket, graff), ces artistes réinventent les numéros traditionnels. Experts en haute voltige, ils slaloment entre les deux mâts chinois comme ils le feraient dans une jungle urbaine. Les frères Cruz offrent un numéro de main en main renversant. Geneviève Morin exécute un numéro de sangle aérienne épatant. Philip Rosenberg est un acrobate d’une rare puissance. Tous nous surprennent par l’étendue de leur talent. Avec toute la fougue de leur jeunesse, ils s’élancent dans les airs, s’agrippent aux mâts chinois, tournent, volent, traversent des cerceaux superposés, saisissent la balle au bond, jouent savamment de l’équilibre, font un ballet sur roulettes drôlissime. Avec une agilité à toute épreuve, ils se catapultent, se frôlent, s’entrechoquent. Projetées ainsi sur scène, leurs impulsions créatives électrisent littéralement le public.
Un public galvanisé
Cabrioles et interludes comiques permettent – autant au public qu’aux interprètes – de souffler entre toutes ces prouesses. Bien qu’au sommet, ces artistes ne se prennent jamais au sérieux. Très décontractés, ils théâtralisent chacune de leurs prestations avec bonne humeur et dérision. Ces tours de force n’empêchent aucunement la finesse des propositions. Le rythme, particulièrement étudié dans la mise en scène, est également soutenu par la musique, qui joue un rôle de premier plan : elle impulse, elle inspire les mouvements, elle insuffle une énergie hors du commun. Francisco Cruz en signe d’ailleurs plusieurs pièces originales. Mais l’on reconnaît quelques morceaux inhabituels au cirque. À ce titre, le numéro de roue Cyr d’Antoine Carabinier-Lépine sur Radiohead a l’effet d’une bombe sur un public galvanisé. Voilà de quoi tourner toute une génération vers le cirque contemporain. C’est de la dynamite !
Ils ne manquent pas d’audace, ni de créativité, ces jeunes gens dans le vent. Ils sont forts, ils sont beaux, ils ont un avenir prometteur. Traces impressionne, étonne et détone. Les salves d’applaudissements qui ponctuent le spectacle et l’explosion de joie finale en sont la preuve. Qui s’amuse le plus : ces jeunes prodiges, tellement heureux sur scène, ou le public, ravi de partager ce plaisir ? Difficile à dire. Mais une chose est sûre : on n’est pas prêt de les oublier ! ¶
Léna Martinelli
Traces, de la compagnie Les 7 Doigts de la main
Conception : Shana Carroll, Isabelle Chassé, Patrick Léonard, Faon Shane, Gypsy Snider, Sébastien Soldevila et Samuel Tétreault
Mise en scène et chorégraphie : Shana Carroll et Gypsy Snider
Avec : Antoine Auger, Antoine Carabinier-Lépine, Jonathan Casaubon, Nael Jammal, Geneviève Morin, Philip Rosenberg
Direction musicale : Les 7 Doigts de la main
Conception éclairage : Nol Van Genuchten
Conception des décors : Flavia Hevia et Les 7 Doigts de la main
Conception des costumes : Manon Desmarais, Josiane Legrand et Les 7 Doigts de la main
Création et programmation vidéo : Paul Ahad, Media-Fx
Directeur technique : Yves Touchette
Photos : © Valérie Remise
Casino de Paris • 16, rue de Clichy • 75009 Paris
Réservations : 08 926 98 926
Du 15 décembre 2009 au 3 janvier 2010 à 21 heures, dimanche à 17 h 30, relâche le lundi
Durée : 1 h 30
43,50 € | 34,50 € | 23,50 €
Tournée
- Du 5 au 6 janvier 2010, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-C.D.N., 01 30 86 77 79
- Le 16 mai 2010, espace Lino-Ventura, Garges-les-Gonesses, 01 34 53 31 00
- Du 21 au 22 mai 2010, Le Phénix, Valenciennes, 03 27 32 32 32
- Du 27 mai au 2 juin 2010, Festival en Artois, Douai, 03 21 25 15 53