« Traversée [avant‑propos] », de Tatiana‑Mosio Bongonga, parvis de l’Opéra à Marseille

Traversée de haut vol

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Au sein de son collectif, Tatiana‑Mosio Bongonga crée et déploie une forme funambule ambitieuse : des traversées. Une démarche passionnante et exigeante.

Ce premier mercredi de février, tandis que retentissaient les sirènes de la ville, à midi pile, une funambule s’est élevée au-dessus du parvis de l’Opéra de Marseille. Pas d’orchestre pour l’accompagner dans sa prouesse, mais un duo de musiciens et un chœur de citoyens. Car, le souffle en suspens, les spectateurs étaient invités à unir leurs forces pour monter et tendre le fil.

Qu’elle soit à 4 ou 5 mètres de hauteur (comme ici), ou plus près des étoiles, Tatiana‑Mosio Bongonga a trouvé son terrain de jeu : un fil qui fait office de sol. Elle y évolue avec une grâce infinie. Pour y parvenir, il faut être solide sur ses appuis, explique-t‑elle : « Marcher sur le fil, c’est s’ancrer sur terre. Nous ne pouvons nous élever qu’à la mesure de notre enracinement ». En effet, en plissant les yeux, on pourrait imaginer un oiseau perché sur un arbre aux longues branches et aux profondes racines, ou alors un poisson. Peut-être même une sirène, dans ce rituel urbain (inventé par Lieux publics) qui porte si bien son nom : « Sirènes et midi net ». Car elle est vraiment dans son élément, là-haut, Tatiana.

Bulle sonore

La musique, autant que la chorégraphie et la scénographie, entre en résonance avec chaque lieu exploré. Dans cette démarche, tout est fondé sur le dialogue. Portée par le live (excellent), ce sont aussi les spectateurs qui permettent à cette artiste audacieuse d’atteindre des sommets. Ces Traversées prennent effectivement une dimension encore plus particulière par son mode participatif, car la tension du fil n’est possible que grâce au public, sur qui repose le dispositif.

« Je ne peux traverser que parce qu’il y a des personnes qui tiennent les cavaletti (points d’ancrage) et qui sécurisent la corde sur laquelle je marche », explique Tatiana. Elle, elle se contente de « gérer les déséquilibres », ajoute-t‑elle modestement. Si le public doit être à la hauteur, cette artiste-là est juste exceptionnelle. Dans le cadre d’Éclat(s) de rue, n’a-t‑elle pas relié les remparts du château de Caen et l’église Saint‑Pierre sur un fil tendu à 40 mètres de haut, fendant la nuit sur 150 mètres et un dénivelé de 20 mètres, sans aucune protection ?

« Traversée (avant-propos) » © Marion Ribon pour Lieux publics
« Traversée (avant-propos) » © Marion Ribon pour Lieux publics

Ici, pour clore sa résidence à Marseille, les spectateurs ont été sollicités pour un montage à vue moins ambitieux, plus intime en quelque sorte, mais malgré tout impressionnant. Cette maquette du projet (ou étape de création) aboutira en 2018, car une grande traversée implique une logistique importante : repérages pour choisir le lieu clé dans la ville, ateliers intergénérationnels avec les habitants (initiation au fil, écriture, chant), introduction aux cavaletti par des jeux coopératifs, construction du dispositif, puis répétitions. Sans parler du travail d’introspection, quasi spirituel : une préparation indispensable.

La nécessité du collectif

Être funambule : un rêve d’enfant. Tout a commencé lorsque Tatiana voit traverser une funambule à plus de 10 mètres de hauteur. Elle avait 7 ans. Quelques années plus tard, son rêve se transforme en réalité puisqu’elle intègre vite une école de cirque, et pendant treize ans, elle grandit sur son fil. Puis, elle étudie la psychologie à l’université avant d’incorporer la 19e promotion du Centre national des arts du cirque de Châlons-en‑Champagne, dont elle sort diplômée en 2007. Elle intègre alors diverses compagnies (le Cœur volant, la Cie Altitude, les Colporteurs, etc.). Elle participe également à de nombreux évènements, comme le Festival mondial du cirque de demain en 2012, où, accompagnée par son père à la guitare, elle obtient la médaille d’or. En 2014, elle crée son projet qui lui tient à cœur : un collectif, Basinga, rassemblé autour de l’art funambule.

Cette compagnie mène une réflexion profonde sur le rapport à soi et à l’autre, sur la prise de risque et nos forces véritables : « Ce qui nous relie nous consolide ». En fait, ces rencontres au sommet fondées sur la confiance sont à accorder à nos rêves les plus fous. Une formidable métaphore de la vie.

Cette démarche se traduit par la production de spectacles participatifs et aussi la recherche. Grâce à l’enseignement, le collectif développe et transmet « cet art qui, mieux qu’aucun autre, évoque en quoi notre grandeur repose sur nos fragilités et notre capacité à savoir les conjuguer ». L’exploration technique, voire scientifique, est également importante pour aboutir à la corde parfaite (matériaux, dimensions, résistance, etc.).

Ces pas, les uns après les autres, tissent, ici et partout où Tatiana passe, des fils invisibles reliant les hommes entre eux, jettent des ponts au‑dessus d’espaces publics à réinventer. Plus que des exploits ponctuels, ces traversées sensibles et poétiques sont d’utilité publique. Indéniablement. 

Léna Martinelli


Traversée (avant‑propos), de Tatiana‑Mosio Bongonga

Dans le cadre de « Sirènes et midi net », organisé par Lieux publics, 2e Biennale internationale des arts du cirque à Marseille

Cie Basinga

Site : http://ciebasinga.github.io/Basinga/fr/home.html

Avec : Tatiana‑Mosio Bongonga (funambule), Pascale Valenta (chanteuse), Jérémy Manche (musicien)

Dramaturge : Rémi David

Chorégraphe : Anna Rodriguez

Costumière : Solenne Capmas

Directeur technique : Jan Naets

Ingénieur son : Max Leynele

Rigger : Gaël Honnegger

Régisseuse générale : Émilie Pécunia

Fiche spectacle : http://www.biennale-cirque.com/fr/programme/traversee-56

Photo : © Marion Ribon pour Lieux publics

Parvis • 2, rue Molière • 13001 Marseille

Sites : www.biennale-cirque.com et http://www.lieuxpublics.com

Le 1er février 2017 à 12 heures

Durée : 15 minutes

Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=Xhwge6Ofo-Q

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