Proust et son double
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
En créant « Un instant » d’après Marcel Proust, Jean Bellorini signe un spectacle éminemment littéraire, dont les personnages et les thèmes vont contre l’air du temps, fait de vitesse et de surabondance d’images.
Cet instant-là dure presque deux heures – malice du metteur en scène qui se joue de la durée. Sur le plateau encombré d’un empilement sage de chaises d’écoliers et de bancs, un tout jeune homme et une vieille femme semblent avoir beaucoup en commun.
Lui, c’est Camille de La Guillonnière qui incarne Proust (mais peut-être aussi un autre). Ses mots, tirés bien sûr de la Recherche du temps perdu, ont à voir avec les souvenirs de l’enfance. Elle, c’est Hélène Patarot qui se dédouble, à la fois l’aimante grand-mère de l’écrivain et une actrice née au Vietnam, d’où elle fut retirée enfant, puis séparée de sa mère et de sa grand-mère.
Le charme puissant qui se dégage du spectacle tient notamment à l’aller-retour entre ces invisibles fantômes et à l’incertitude du spectateur sur l’identité des locuteurs. Se perdant, il se laisse guider par les mots de Proust (et/ou d’Hélène, et/ou de Jean Bellorini) et participe à cette aventure du souvenir.
Avec le temps
Le metteur en scène étire le temps, multiplie les silences où chacun est comme enfermé dans ses pensées, va même jusqu’à faire se promener les deux comédiens non seulement hors du plateau, mais hors de la salle. On les perd donc. Avec ces chaises en bois d’une autre époque, ces vêtements datés, ces traces d’une éducation d’autrefois, la nostalgie domine, ancrée dès le début du spectacle lorsque Léo Ferré chante Avec le temps. Elle se poursuit grâce aux mélodies très évocatrices de Jérémy Péret.
Enfin, il y a ces histoires de baiser du soir qu’on attend dans le noir et qui font braver les dangers (la colère du père, par exemple). Ces connivences avec une grand-mère dont la mort fait vaciller tous les repères. Jean Bellorini parle à l’âme, il convoque des instants fugaces, des souvenirs qui reparaîssent pour mieux se dissoudre, laissant derrière lui comme un regret. ¶
Trina Mounier
Un instant, d’après Marcel Proust
Adaptation : Jean Bellorini, Camille de La Guillonnière et Hélène Patarot
Mise en scène, scénographie et lumières : Jean Bellorini
Avec : Camille de La Guillonnière et Hélène Patarot
Musicien : Jérémy Péret
Durée : 1 h 45
Théâtre de la Croix-Rousse • Place Joannes Ambre • 69004 Lyon
Du 8 au 11 octobre 2019 à 20 heures, le 12 octobre à 19 h 30
Tournée
- le 17 octobre, Espace Michel-Simon, à Noisy-Le-Grand
- les 7 et 8 novembre, Nouvelle scène nationale Cergy-Pontoise / Val d’Oise
- du 13 au 16 novembre, MC2 : Grenoble, scène nationale
- les 27 et 28 novembre, Scènes du Golfe, scène conventionnée danse, à Vannes
- les 5 et 6 décembre, Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire
- les 15 et 16 janvier 2020, Comédie de Colmar, centre dramatique national, Grand–Est Alsace
- les 23 et 24 janvier, Théâtre du Beauvaisis, scène nationale, Beauvais
- le 30 janvier, Espace Jean Legendre, à Compiègne
- le 15 mars, Théâtre de Suresnes Jean Vilar, à Suresnes
- les 28 et 29 avril, Théâtre Montansier, à Versailles
- du 5 au 7 mai, Théâtre de la Cité, centre dramatique national Toulouse Occitanie
- le 15 mai, Châteauvallon, scène nationale
- du 26 au 30 mai, Théâtre du Nord, centre dramatique national, Lille Tourcoing Hauts-de-France
- du 4 au 6 juin, La Criée, Théâtre national de Marseille
À découvrir sur Les Trois Coups :
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