Le cœur plein d’éclats de Wajdi Mouawad
Par Christophe Giolito
Les Trois Coups
Le directeur de la librairie Le Coupe-papier, présente dans le hall de nombreuses grandes scènes parisiennes, reprend au théâtre À la folie sa mise en scène (2010) du récit initiatique de Wajdi Mouawad, que l’auteur à publié en 2007 en retravaillant une partie de son roman « Visage retrouvé » (2002). Avec des moyens modestes, ce texte fort est présenté dans une prestation scénique remarquable.
Une ombre promène sa silhouette derrière un rideau sur quelques notes de piano. Le texte interroge d’abord les évènements qui nous frappent : comment ce qui marque imprime-t-il en nous son effet indélébile ? Le propos rend compte de nos impuissances, de nos atermoiements et de nos résistances face à la mort. L’inéluctable s’impose et exige des périphrases, des détours par les souvenirs pour révéler sa fonction d’intonation, de ponctuation de nos vies.
Le narrateur (Wahab) prend en charge ce texte lourd et pourtant dynamique. L’autre comédienne (Céline Carrère, parfois remplacée par Gretel Delatttre) tantôt lui donne la réplique, esquissant des ébauches de dialogue, tantôt, souvent, intervient comme un écho, soulignant la charge émotive ou l’importance décisive d’un mot ou d’un moment.
À travers une mise en scène dépouillée, sinon minimaliste, François Leclère met bien en valeur le texte, en utilisant par intermittence des supports musicaux. Diverses inspirations jazzy et orientales viennent former l’enveloppe sonore sobre et suggestive de cette histoire en (dé-) reconstruction. Un texte dense, qui se tient de lui-même, avec des formules bien senties. Des paroles pour nommer l’indicible, qu’il fallait porter avec délicatesse et détermination.
Une remarquable performance de Julie Recoing
Le pari est réussi. Le spectacle, dans les limites de sa dimension et de sa thématique, qui n’autorise les notes d’humour qu’à la marge, parvient à mobiliser les spectateurs et même à les édifier. Les actrices font une belle prestation, parvenant même à porter le silence jusqu’au sens. Julie Recoing exécute sa partition de façon exemplaire, sachant alterner hurlements et murmures, soutenant bien les divers aspects, notamment enfantins, de son personnage.
Wajdi Mouawad parvient à donner consistance à une expérience dramatique et propitiatoire, pour nourrir sa dimension universelle et réconciliatrice. François Leclère, comme un écho à sa mise en scène du premier texte publié de l’auteur (Alphonse), présente cet opuscule qui constitue comme un levier de passage dans les grandes œuvres de Mouawad, entre Littoral (1999) et Incendies (2003), et anticipant, par le thème de la peinture, sur Seuls (2008). On y retrouve la vision cauchemardesque de l’incendie, souvenir d’un bus aspergé d’essence puis mitraillé et carbonisé, qui hante la mémoire de l’enfant libanais.
François Leclère, qui travaille de longue date avec Julie Recoing, a longtemps préparé à la table ce court spectacle, cherchant à libérer sa puissance dans l’imagination du spectateur. Le décor est dépouillé, le texte, issu d’un monologue, a été fragmenté, enrichi de différentes répliques pour lui permettre d’occuper l’espace scénique. Un travail cohérent et intéressant, propre à ravir les amateurs. ¶
Christophe Giolito
Un obus dans le cœur, de Wajdi Mouawad
Actes Sud Junior / Léméac, 2007
Association Ekkyklemart • directeur artistique François Leclère
Courriel : ekkyklemart@yahoo.fr
Mise en scène : François Leclère
Assistante à la mise en scène : Chloé Larmet
Avec : Céline Carrère (ou Gretel Delattre), Julie Recoing
Scénographie et création lumière : Xavier Baron
Photo : © D.R.
Production Ekkyklemart / À la foire Saint-Germain
À la folie Théâtre • 6, rue de la Folie-Méricourt • 75011 Paris
Site du théâtre : http://www.folietheatre.com/
Réservations : 01 43 55 14 80
Du 5 janvier au 4 mars 2012, du jeudi au samedi à 19 heures, dimanche à 15 heures
Durée : 55 min
20 € | 15 €