Papier fait
de la résistance
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Ce spectacle est un petit miracle. C’est l’histoire d’Antigone, avec des marionnettes en papier. Il y a aussi un volatile qui fait office de chœur, un maçon, des gardes, le fiancé d’Antigone et, « last but not least », le roi, Créon. Ajoutez la bande-son ininterrompue de deux violoncelles, une interprétation habitée, et vous obtenez la recette idéale d’un spectacle à la fois exigeant et grand public.
Au fait, Antigone, kézako ? Antigone est une jeune fille dont les frères Étéocle et Polynice se sont entretués lors d’une guerre. Ce conflit opposait les partisans du nouveau roi Créon à une armée de réfractaires emmenés par Polynice. Créon décrète que les traîtres n’auront pas droit à une sépulture. Pas question pour Antigone, qui décide de franchir la ligne interdite et d’aller enterrer son frère.
C’est donc une histoire de résistance et de courage. Les fans de Sophocle en seront pour leurs frais : la compagnie Les Anges au plafond propose sa propre lecture du mythe (un « défroissage », nous annonce-t-on). L’accent est mis, non pas sur la désobéissance d’Antigone allant enterrer son frère, mais sur une transgression répétée qui vise la ligne, puis la palissade, puis le mur construit par Créon pour « rétablir la paix » dans sa ville. Un mur… La guerre, la paix, la peur… Ça vous dit quelque chose ? Cette vision ne peut en effet que rappeler des thèmes bien contemporains et par-là, montrer l’inefficacité de tous les murs et autres barbelés qui poussent un peu partout dans le monde. Créon, voyant sa palissade abîmée, s’entête à demander : « Qui ? », alors que l’oiseau, lui, demande « Pourquoi ? ». Moralité : quand elle est régulièrement enfreinte, il faut se demander si ce n’est pas la loi elle-même qui est coupable…
Une comédienne-marionnettiste incroyable
Alors, prise de tête, les marionnettes ? Pas du tout. Le spectacle est un mélange incroyablement réussi de thèmes sérieux et d’interprétation comique. Les textes, de la main de Brice Berthoud, sont pétillants et profonds à la fois, et interprétés par une comédienne-marionnettiste incroyable : Camille Trouvé. C’est elle qui porte le spectacle sur ses épaules, ou plutôt au bout de ses mains, manipulant tous les personnages et, ce faisant, effectuant un travail vocal qui laisse admiratif. Par exemple, chaque intervention de l’oiseau est désopilante quand la voix de Camille Trouvé monte dans les aigus. C’est aussi le cas des scènes du maçon qui construit la palissade, avec son accent du Midi à couper au couteau. Sans oublier les sonorités très gaulliennes du discours inaugural prononcé par Créon…
Autre grande réussite : ces marionnettes en papier, qui évoquent plus qu’elles n’imitent des personnages. Le succès de cette évocation tient d’ailleurs souvent à des détails : par exemple Créon, dont le cou mobile permet toute une gamme d’effets cocasses. Et la posture de ce vieux roi tout avachi sur son petit trône de bois ! C’est à mourir de rire. On doit aussi mentionner ces passages drôlissimes mettant en scène trois gardes, qu’on croirait tout droit sortis du début de Hamlet ou de sa célèbre scène des fossoyeurs, faisant leur ronde pour surveiller le fameux mur.
Tous ces éléments pourraient paraître très disparates s’ils n’étaient unis dans une mise en scène brillant par sa liberté d’invention et la richesse de ses trouvailles plastiques. Il ne se passe pas un instant sans que quelque chose vienne surprendre le spectateur. L’espace est mis à profit avec une grande intelligence, et le décor, lui aussi à base de papier, se révèle plein de ressources. On ne peut tout citer, mais évoquons tout de même les merveilleux effets d’ombre et de lumière qui font surgir avec trois fois rien des scènes de guerre sur des écrans de papier, ou bien encore la construction progressive de cette séparation qui donne tout son sens à la disposition bifrontale des spectateurs. Enfin, cerise sur le gâteau, l’accompagnement musical des deux violoncelles est lui aussi d’une grande qualité et participe de la force du récit. Que demander de plus ? ¶
Céline Doukhan
Une Antigone de papier, tentative de défroissage du mythe
Cie Les Anges au plafond • 56, rue Paul-Vaillant-Couturier • 92240 Malakoff
Mise en scène et textes : Brice Berthoud
Avec : Dorothée Ruge, Camille Trouvé, Martina Rodriguez et Sandrine Lefebvre en alternance avec Veronica Votti
Construction marionnettes : Camille Trouvé
Composition musicale : Martina Rodriguez et Sandrine Lefebvre
Scénographie : Dorothée Ruge et Brice Berthoud
Création lumière : Gerdi Nehlig
Décors : Olivier Benoît, Salem ben Belkacem
Costumes : Séverine Thiébault
Régie de tournée : Philippe Desmulies
Avec la participation d’Einat Landais, Magali Rousseau et Véronique Iung
Photo du spectacle : © Vincent Muteau
Salle des fêtes d’Égreville • place du Champ-de-Foire • 77620 Égreville
Réservations : 01 64 83 03 30
Le 5 décembre 2009 à 20 h 45, le 6 décembre à 17 heures
Durée : 1 h 15
4 € | 6 € | 10 €
Spectacle en tournée en France jusqu’en juin 2010 (voir les dates sur le site de la compagnie)