Une ultime cérémonie, festive et amère
Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups
Les membres du Raoul Collectif présente leur troisième création : avec « Une Cérémonie », ils partent en guerre contre tout ce qui pourrait entraver leurs pulsions de vie. Ils expient quelques maux de notre époque et communient avec le public. Avec une joie presque sans bornes.
Quelle fête célèbre-t-on ici ? Sous quelle forme et selon quelles règles ? Sur un plateau foutraque rempli de chaises vertes, d’un coin bar, d’un espace « coulisses » et d’un orchestre, surplombé par une bâche, des lumières et un squelette de ptérodactyle en bois et métal, une joyeuse troupe se meut et nous agite. Les personnages nous parlent du processus de création du spectacle auquel nous assistons. Quel costume choisir. Dans quel ordre raconter. Comment introduire. Comment poser des gestes. Quelle cérémonie a été rêvée et qu’est-elle devenue : « une aventure hasardeuse ».
Son sujet principal : la violence, la guerre, l’aventure, la durée, la mort. Les désirs communs à ce « petit groupe d’heureux » : enchanter le monde, agir, combattre et se révolter, tels des chevaliers des temps modernes, grâce au théâtre ! Rêver, jouer, comme Hamlet. Dire « non », comme Don Quichotte, Sancho Panza ou Alceste ? Comme Antigone plutôt. Oui, il faut s’armer contre tous les petits rois vulgaires, capitalistes, riches, bêtes, médiatiques, qui gouvernent le monde. Et refuser « la menace de mort qui risque de nous voir disparaître »…
Conçue avant le (premier) confinement, cette création, jouée le 29 octobre pour la dixième et dernière fois (avant une longue pause), sonne comme un manifeste. Elle défend l’engagement des artistes malgré la précarité, le pouvoir de l’imaginaire et de l’irrationnel, interroge le rapport aux ordres, modèles et règles. Elle loue l’imprévisible, la singularité et l’onirisme. Elle mêle les tonalités, les temporalités et les références. Elle prône la création collective et l’absence de hiérarchie au sein de l’équipe (artistique et de production). Cette Cérémonie ne verse ni dans la naïveté, ni dans le manichéisme, mais questionne donc avec finesse la révolte artistique, politique : quand obéir ? Quand recourir à la violence ? Quand la conscience des choses fait-elle de nous tous des lâches ? Quelle place accorder au doute et au vertige ? Enfin, que faire « maintenant » ? Face à une mondialisation déréglée, à la montée nationaliste, au terrorisme et à la pandémie actuelle, comment « aventurer la vie » et non la « confiner » ?
Entre joie et mélancolie…
Les séquences, ponctuées par des « toasts » (entre les artistes et avec le public), s’enchaînent et ne cessent de ménager des surprises. On assiste ainsi à des adoubements ou couronnements originaux, à des rituels divers, à des apparitions surnaturelles (comme le Centaure ou la chouette), à de petits concerts. Les acteurs se métamorphosent, sortent de leur personnage. Scène et salle communient et célèbrent ainsi une fête souvent endiablée, parfois caustique, étrange, voire silencieuse. Une mélancolie nous gagne également, mais elle ne vient pas à proprement parler du spectacle. Quand celui-ci s’affronte aux thèmes du suicide, de la mort et de la violence, il le fait avec une énergie dionysiaque ou avec humour. Cette émotion teinte la représentation car les spectateurs savent qu’ils assistent à une cérémonie ultime, en quelque sorte. Un spectacle interrompu dans son élan et sa joie. Quand la troupe lance le dernier « santé, avant de nous retrouver ! », les larmes coulent. Notre Semaine d’art − avortée en raison d’un contexte terrible − se sera tout de même achevée par un hymne à l’engagement, à l’art, à une vie décidément charriée par Éros et Thanatos ! ¶
Lorène de Bonnay
Une cérémonie, du Raoul Collectif
Texte et mise en scène : le Raoul Collectif
Avec : Julien Courroye, Romain David, Clément Demaria, Jérôme de Falloise, Anne-Marie Loop, David Murgia, Philippe Orivel, Benoît Piret, Jean-Baptiste Szézot
Lumière : Nicolas Marty, Philippe Orivel
Scénographie : Juul Dekker
Son : Julien Courroye, Benoît Pelé
Coaching musical : Laurent Blondiau, Philippe Orivel
Costumes : Natacha Belova
Assistanat à la mise en scène : Rita Belova, Yaël Steinmann
Durée : 1 h 30
Tournée : les 13, 14 et 15 novembre au théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine (représentations annulées), et du 26 novembre au 19 décembre au théâtre de la Bastille.
Théâtre Benoît XII • 12, rue des Teinturiers • 84000 Avignon
Dans le cadre de la Semaine d’art du Festival d’Avignon
Réservations : 04 90 14 14 14
Du 24 au 29 octobre 2020 à 18 heures
15 €