Du théâtre sous influence
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Elle réussirait presque à faire oublier Gena Rowlands dans « Une femme sous influence ». Béatrice Venet illumine la pièce qu’a tirée Maud Lefebvre du film de John Cassavetes. Elle est le principal atout d’un spectacle qui n’en manque pas.
La pièce se passe dans les années 1970 quelque part aux États-Unis. John, contremaître sur les chantiers, surchargé de travail, est souvent retenu tard le soir. Mabel, son épouse, l’attend à la maison. Cette nuit-là, John ne peut pas rentrer chez lui. Le couple avait pourtant tout prévu pour se retrouver, comme une fête. On assiste à la préparation du dîner et de la chambre ; l’enfant a été confiée au grand-père ; Mabel s’ennuie et commence à boire. Elle sort finalement, et ramène un homme chez elle. Quand John rentre le lendemain, il est accompagné de son équipe : le couple ne pourra pas se retrouver…
La dimension sociale ne suffit pas à comprendre les difficultés de ce couple. En effet, ils sont aussi amoureux, d’une passion charnelle, fusionnelle et violente, que différents. Il est rude, travailleur, sérieux ; elle est fantasque, fragile, toujours « trop » : volubile, inquiète, directe, aimante…). « Cinglée » en un mot, comme la qualifient les camarades et la mère de John.
Béatrice Venet et Nikola Krminac, qui incarnent Mabel et John, campent magnifiquement leur personnage. Le jeu subtil de Béatrice Venet fait apparaître dans son regard inquiet une fêlure qui va s’élargissant jusqu’à former une faille. Ses gestes ressemblent alors à des branches torturées, prennent des angles inhabituels, son rire devient trop brusque, sa personnalité se scinde. Plus elle a peur, plus elle essaie de bien faire, et plus l’effondrement est proche. À haute teneur dramatique, la composition des deux acteurs, à partir de scènes de couples, provoque un effet de réel saisissant, qui n’est pas dénué de rire ni de joie.
Comme au cinéma
La direction d’acteurs n’est pas la moindre des qualités de ce spectacle. Les enfants jouent leur rôle avec un dosage très équilibré de sensibilité. Renaud Bechet interprète ainsi trois personnages avec beaucoup de justesse. Quant aux techniciens, ils sont complètement intégrés à l’équipe de comédiens, comme camarades de travail de John.
Entre les gradins disposés face-à-face, les décors sont montés sur plusieurs plateaux tournants, introduits avant d’être retirés. Chacun d’eux supporte une pièce, si bien qu’il est possible d’assister à plusieurs scènes en même temps, tandis que les personnages sortent d’une pièce pour aller ailleurs. Cette grande fluidité rappelle l’œuvre cinématographique dont est issu le spectacle.
Régal pour l’intelligence, cette pièce nous fait ressentir des émotions puissantes au détour d’une phrase ou d’un geste. Une réussite incontestable; du grand art.¶
Trina Mounier
Une femme sous influence, de John Cassavetes
Mise en scène : Maud Lefebvre
Avec : Béatrice Venet, Nikola Krminac, Renaud Bechet, Marie-Danielle Mancini, Guy Dechesne, Sacha Rouch et Gaspard Foucault en alternance avec Margot Dutheil et Robin Bolomier, Maud Lefebvre, Guy Caroire, Clément Fessy, Tristan Gouaillier, Manko Diaz Florian et la participation de Fabien Ballester, Noam Mouhib, Cristiano Rodrigues, Chritine Geny en alternance avec Maria Canon
Durée : 1 h 40
Photo © Clément Fessy ou Maud Lefebvre
Théâtre de la Renaissance • 7, rue Orsel • 69600 Oullins
Du 21 au 25 janvier 2020, du mardi au vendredi à 20 heures, le samedi à 19 heures
De 5 € à 25 €
Réservations : 04 72 39 74 91
Puis Comédie de Saint-Étienne du 29 au 31 janvier
Comédie de Clermont-Ferrand du 14 au 17 avril
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