« Cannibale », d’Agnès d’Halluin, d’après une idée originale de Maud Lefebvre, l’Élysée à Lyon

« Cannibale » © Collectif X

Une jeune compagnie aux dents de loup !

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

C’est une toute jeune compagnie que ce Collectif X, né à l’école de la Comédie de Saint-Étienne et que l’Élysée est allé dénicher avec la clairvoyance qu’on lui connaît. Après le succès remporté l’an dernier, cette reprise bienvenue joue déjà à guichets fermés. C’est donc une demi-surprise et une pleine réussite.

Elle voulait parler d’amour, fou de préférence, dévorateur comme la flamme ou comme le « Cannibale », et d’une tentative désespérée pour échapper à la mort venue s’inviter au banquet du désir. Sujet éminemment littéraire qui traverse les âges… La metteuse en scène Maud Lefebvre a passé commande d’écriture à Agnès d’Halluin, et ce qu’elle en dit est profondément actuel et original.

La pièce se déroule dans le studio où habitent deux hommes, deux amants. À cour, le lit ; à jardin, la cuisine. Le lieu de l’amour, du sommeil et de la maladie d’un côté, de l’autre celui de la vie avec la nourriture, ses odeurs, ses plaisirs. En fond de scène, une porte donne sur une cave, espace sombre et dangereux, et la douche où se révéleront des corps nus. Entre les spectateurs et le plateau, un rideau transparent accueillera des projections vidéo devant lesquelles se jouera une autre partie de l’histoire, dans un autre temps et un autre lieu, la forêt où les deux hommes se rendent en voiture pour s’y cacher ou y retrouver la pulsion vitale de la nature.

La pièce fonctionne à la manière d’un long flash-back. Dans la première scène, un homme est seul. Vraiment seul, comme s’il était réduit à la solitude, comme si plus rien n’existait. C’est Martin Sève, au corps fluet d’adolescent, qui l’incarne avec sensibilité. Puis, les souvenirs remontent : en une succession d’instantanés séparés par des noirs qui rythment le passage du temps, toute cette histoire d’amour prend littéralement vie sur le plateau. Des moments heureux et presque insouciants à l’avancée sournoise de la maladie jusqu’à ce qu’elle envahisse tout.

La vie comme elle (s’en) va

Que se passe‑t‑il quand l’un des deux va mourir, quand ce corps qu’on aime tant s’apprête à disparaître ? Comment continue‑t‑on à désirer un corps blessé, affaibli, abîmé ? Comment l’amour résiste‑t‑il ? Que deviendra‑t‑on après la mort de l’autre ? Ces questions sont posées par le texte d’Agnès d’Halluin et elles restent ouvertes. Nulle certitude, nulle pesanteur, mais une grande empathie pour ses personnages que Maud Lefebvre scrute dans les détails minuscules du quotidien. Ce qu’il en ressort, c’est un hymne à la vie et à l’amour. Car tant qu’on n’est pas mort, on est vivant.

Or celui qui va mourir, c’est Arthur Fourcade qui lui donne sa densité, sa force, curieux et parlant paradoxe. Donc, ils s’enlacent, ces deux amants, ils cuisinent, ils mangent, ils jouent comme des enfants, ils se chamaillent, ils rient, ils dansent même (cette scène est éblouissante), bien que la peur rôde et parce qu’elle rôde : seules les manifestations de la vie peuvent la tenir un temps en respect. L’oublier permet de lui résister. De même que l’échappée dans un ailleurs étrange et merveilleux. L’un, incarné par Arthur Fourcade, raconte des histoires à l’autre et notamment celle de Tristan et Yseult, autres amants terribles, qu’il déploie longuement avec gourmandise.

Le tour de force de ce texte et de la mise en scène réside dans la légèreté de ce spectacle. Loin d’être pesant, il est joyeux et très souvent drôle. Nous aussi, spectateurs, nous oublions la mort à l’œuvre, nous rions de bon cœur. Cannibale atteint également une sorte d’universalité, car, s’il s’agit bien d’une relation homosexuelle, c’est presque anecdotique. Jamais la question de l’homosexualité n’est soulevée, elle s’inscrit juste dans la contemporanéité. De même, le titre Cannibale pourrait faire imaginer une histoire un peu gore, mais il n’en est rien, c’est seulement un prétexte à filer la métaphore du corps – chair – viande et du désir affamé qui voudrait tant manger l’autre…

Arthur Fourcade et Martin Sève, qui incarnent ces deux hommes si différents avec une incroyable énergie et une grande subtilité, pourraient être tous les amants du monde dès lors qu’ils s’aiment d’un amour dévorant. Ils sont les artisans essentiels de cette réussite.

Le résultat c’est un spectacle puissant, mais éminemment délicat et pudique, émouvant et juste, sobre et beau. 

Trina Mounier


Cannibale, d’Agnès d’Halluin, d’après une idée originale de Maud Lefebvre

Mise en scène : Maud Lefebvre

Avec : Arthur Fourcade et Martin Sève

Scénographie : Charles Boinot, Stanislas Heller, Maud Lefebvre

Création lumière : Valentin Paul

Création sonore : Clément Fessy

Création vidéo : Charles Boinot

Photo : © Collectif X

Avec le soutien de la ville de Saint‑Étienne

L’Élysée • 14, rue Basse‑Combalot • 69007 Lyon

www.lelysee.com

04 78 58 88 25

Du 27 au 30 septembre 2016 à 19 h 30

Durée : 1 h 25

De 7,50 € à 12 €

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