Ouvreurs d’épiphanies potentielles
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Cheminant inlassablement vers ceux pour qui le théâtre n’est pas une évidence, les Tréteaux de France proposaient cet été encore spectacles et ateliers au cœur de bases de loisirs. Un théâtre de grands chemins et petits moyens qui essaime cœurs et intelligences. À voir et à préserver coûte que coûte.
Héritiers de figures aussi belles et fondamentales que celles de Jean Zay, Jean Danet ou Jean Guehenno, auquel il consacre d’ailleurs cet été un spectacle, Robin Renucci a fait fructifier leur legs depuis plus de vingt ans. Vingt ans à œuvrer, ouvrir des sentes dans les fourrés épineux des cœurs blessés pour murmurer : « Non, vous n’êtes pas rien. Non, le théâtre n’est pas enfermé dans des structures lambrissées dont l’accès vous serait interdit ».
Et ici le discours n’est pas parade politicienne. Dire, c’est faire. Méditant sur les réussites et errements du théâtre populaire, Robin Renucci en a conclu que la beauté de l’œuvre ne garantissait absolument pas son accès. Il faut permettre cette rencontre, c’est-à-dire aller où sont les gens, les associer à la construction du sensible, leur proposer des œuvres qui ne les prennent pas de haut ni ne les avilissent. Beau cahier des charges qui demande de la patience et impose cette générosité qui n’attend pas l’immédiate récolte.
Cet été, les Tréteaux embarquaient pour de nouvelles aventures dans le cadre de l’opération « « L’Île de France fête le théâtre ». Cap sur trois bases de loisirs à Draveil, Cergy-Pontoise et Saint-Quentin-en-Yvelines. Dix jours à chaque fois de spectacles, mais aussi d’ateliers partagés par enfants et parents. Dix jours, mais des mois de rencontres en amont avec les écoles, les associations, les municipalités pour que cette fête soit partagée. Vraiment. Dix jours, mais qui reviennent chaque année pour qu’un enfant grandisse et ait le temps de découvrir dans tous ces visages familiers du théâtre celui qui l’accompagnera toute sa vie.
Princes des mots
Ce jour-là, les plus petits pouvaient ainsi s’éveiller au théâtre avec Blanche Neige, histoire d’un prince. Marilyne Fontaine avait adapté le riche texte de de Marie Dilasser pour qu’il soit à leur mesure : intelligent, plein de questions graves (écologie, couple…), mais aussi de rires. Dans son travail, on retrouve l’amour de la langue, l’économie de moyens et la confiance dans les comédiens qui font la marque aussi des Tréteaux. Confiance méritée par les généreux Nadine Darmon et Thomas Fitterer qui semblent retomber en enfance, cet âge où, d’une robe fille et garçons font surgir une princesse, d’un castelet un palais, de la parole un peuple de nains de la forêt. Le propos est polysémique et donc adapté à tous les âges. On est enfin face à un spectacle qui est bien destiné à la catégorie d’âge affichée.
Les plus grands pouvaient voir, ensuite, se déployer la corolle des mots de Marcel Proust, Paul Valéry, Romain Gary. Car Robin Renucci, en scène lui-même avec le pianiste Nicolas Stavy, les faisait résonner dans l’Enfance à l’œuvre. Dans ce moment de partage, l’œil vif du comédien, empli de la malice et de l’intelligence des auteurs, vient nous chercher dans le noir de la salle. Nous entendons les mots comme pour la première fois. Tels les souvenirs proustiens, ils semblent prendre corps. Rassurés d’avoir tout saisis, nous pouvons nous enhardir à rester pour découvrir la flamboyante nuit racinienne. Songe, songe, en effet, spectateur, à la beauté des vers d’Andromaque quand une troupe les porte en toute simplicité, pour toi !
Les Tréteaux de France sont aujourd’hui à l’heure des bilans. On a vu à Saint-Quentin quels beaux chemins ils ont dessinés. Il faut espérer que le successeur de Robin Renucci ait le même de goût des autres, la même ferveur rageuse qui interdit de plier le genou devant les puissants et que les moyens lui soient donnés de poursuivre ce si lent et si nécessaire travail. Car, oui, la culture est nécessaire, essentielle. ¶
Laura Plas
Blanche-Neige, histoire d’un prince, d’après Marie Dilasser
Publié aux Solitaires Intempestifs (Grand prix de Littérature dramatique Jeunesse Artcena 2020)
Mise en scène : Maryline Fontaine
Avec : Nadine Darmon et Thomas Fitterer
Durée : 30 à 40 minutes
À partir de 8 ans
Andromaque, de Jean Racine
Mise en scène : Robin Renucci
Avec : Judith d’Aleazzo, Maryline Fontaine, Solenn Goix, Julien Léonelli, Sylvain Méallet, Patrick Palmero, Henri Payet, Chani Sabaty
Durée : 1 h 50
À partir de 14 ans
L’Enfance à l’œuvre, de Robin Renucci et Nicolas Stavy
Mise en scène : Robin Renucci
Avec : Robin Renucci, Nicolas Stavy
Durée : 1 heure
À partir de 12 ans
« Une partie de campagne avec les Tréteaux de France », dans le cadre de l’opération « L’Île de France fête le théâtre »
Site des Tréteaux de France, centre dramatique national
Île de loisirs de Cergy-Pontoise • intersection du boulevard de l’Hautil et de la rue des Moulines• 95000 Cergy
Du 21 au 29 août 2021, spectacles et activités de 11 h 30 à 20 heures
Entrée libre sur réservation
Réservations : ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Appel des Centres dramatiques nationaux
☛ De Passage, de Stéphane Jaubertie, théâtre de L’Épée de bois, dans le cadre de la Grande Escale des Tréteaux de France, par Léna Martinelli