Sexe, mensonges et vérités
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Louise Vignaud, nouvelle directrice du Théâtre des Clochards célestes, offre un passionnant diptyque de deux textes contemporains entre fiction et documentaire. La violence sociale est à l’affiche.
Premier round : Ventre, mis en scène par Ewen Crovella et Maxime Mansion, interprété par Pauline Coffre. Ce monologue en forme de coup de poing donne la parole à Myriam Badaoui, la mère incestueuse et mythomane du fameux procès d’Outreau. L’ombre de Florence Aubenas, et de son texte brûlot la Méprise, plane sur le spectacle. Elle innocenta les personnes dénoncées par Myriam Badaoui avant que la justice ne le fasse.
Au plateau, avec des moyens scéniques réduits à une table, une chaise, une lampe, du papier à lettres, un sac de supermarché et de quoi boire ou grignoter, la comédienne se livre à un jeu pervers en forme de confession impudique et d’auto-réhabilitation impossible. Provocante, désespérée ou déterminée à suivre le droit chemin, la comédienne réussit une époustouflante performance. Affrontant le regard des spectateurs qu’elle interpelle ou repliée sur elle-même, elle révèle toutes les contradictions de Myriam Badoui, incapable de résister à ses pulsions sexuelles pédophiles, enlisée dans ses mensonges et enivrée par son désir de reconnaissance.
Pauline Coffre accomplit un travail d’interprétation virtuose, conjuguant pouvoir de fascination et distance critique. À titre d’exemple, sa récitation scolaire et pitoyable d’un texte de Médée est à la fois une surprise dramatique et un moment d’émotion bouleversant. Une dernière chose importante contribue à l’excellence de cette représentation : les auteurs, les metteurs en scène et l’éclairagiste Julie Lorant ne cèdent jamais à la fascination pour la criminelle et ils trouvent le juste équilibre entre la puissance du théâtre et la force de la vérité des faits.
La société et ses errements
Second round : le Quai de Ouistreham, mis en scène par Louise Vignaud et interprété par Magali Bonat. Nouveau monologue percutant construit à partir de l’ouvrage documentaire et engagé de Florence Aubenas. Même parti pris de simplicité dramaturgique que pour Ventre : un paperboard, quelques feutres et une chaise. Metteuse en scène et comédienne se sont accordées sur une forme de rigueur et de clarté pour faire le procès, à distance de toute émotion démagogique, de la dureté d’une société exploitant sans vergogne des travailleuses précaires en quête d’un inatteignable C.D.I.
À l’origine du texte, un mensonge, la fausse identité sous laquelle Florence Aubenas se masque pour pénétrer le monde cruel des recruteurs de femmes de ménages. Mais là, on est loin des élucubrations de Myriam Badaoui. La vérité scandaleuse d’un travail aliénant éclate à chaque phrase. Néanmoins, on se lasse assez vite de la répétitivité d’une parole qui ne parvient pas à susciter des situations dramatiques suffisamment fortes. Malgré tout son talent, Magali Bonat est comme prisonnière d’un discours et elle se trouve réduite au rôle de porte-voix d’une juste cause. Dommage.
Reste toutefois que ce spectacle aux deux visages vaut absolument que le public s’y précipite. Il est encore trop rare qu’un théâtre prenne le risque de proposer des textes contemporains d’une telle qualité, soutenues par des équipes artistiques décidées à témoigner courageusement des errements de la société française. ¶
Michel Dieuaide
Ventre, de Pauline Coffre et Samuel Pivo
Production : Compagnie en Acte(e)
Mise en scène : Ewen Crovella et Maxime Mansion
Avec : Pauline Coffre
Lumières : Julie Lorant
Scénographie : Gala Ognibene
Costumes : Cécile Box
Le Quai de Ouistreham, de Florence Aubenas
Le texte est publié aux Éditions de l’Olivier
Production : Compagnie La Résolue
Mise en scène : Louise Vignaud
Avec : Magali Bonat
Théâtre des Clochards célestes • 51, rue des Tables Claudiennes • 69001 Lyon
Tél. : 04 78 28 34 43
billetterie@clochardscelestes.com
Du 16 au 26 mai 2018, tous les jours à 19 h 30 sauf le mardi 26 mai, samedi et dimanche à 16 h 30
De 7 € à 12 €