À la famille comme à la guerre
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Pour tirer sa révérence en beauté, Christian Schiaretti, qui achève son mandat à la tête du Théâtre national populaire (T.N.P.), se tourne vers Roger Vitrac et « Victor et les enfants au pouvoir ».
Le maître du T.N.P. a peu œuvré dans le registre du comique, si l’on omet une mise en scène d’Ubu Roi d’Alfred Jarry. Il a plus volontiers laissé sa trace avec Claudel ou Strinberg, mais ce Victor est de bonne composition.
Rappelons l’intrigue, s’il est possible. Un enfant de neuf ans à la stature de géant – un mètre quatre-vingts, ce qui le met sur un pied d’égalité avec les adultes – jouit d’une intelligence hors norme. Il découvre, le soir de son anniversaire, que son père couche avec une amie de sa mère, mariée à un homme sujet à des crises de violence incontrôlables, dès qu’il entend parler de politique. Il n’en faut pas plus à Victor pour démontrer avec férocité l’hypocrisie du microcosme bourgeois. Et pour décider de mourir le soir-même.
Esther, la fille de l’autre couple, plus jeune et plus « normale », lui donne la réplique. Elle enchaîne les caprices et fait éclater des vérités nullement bonnes à dire. La pauvre enfant reçoit beigne sur beigne, pour des motifs bien obscurs. En bref, les enfants insultent leurs parents qui les battent comme plâtre dès qu’ils le peuvent, et se plaignent de leurs rejetons le reste du temps.
Interpréter des enfants au théâtre est difficile et risqué. C’est pourtant le meilleur atout de ce spectacle. David Mambouch interprète Victor remarquablement, en enfant dont la clairvoyance précoce constitue un poison sourd et efficace, doublé d’un petit roi arrogant qui ne doute de rien. Mais la vraie surprise vient de Corinne Martin. Elle campe avec virtuosité un personnage de fillette odieuse et touchante, à la voix stridente que personne n’écoute, condamnée à se choisir d’autres parents.
Rire ou pleurer ?
Ce monde évolue dans la violence. On y parle de guerre, même si celle que choisit Christian Schiaretti se situe bien loin de celle de Vitrac. La guerre d’Algérie remplace celle de 1914, sans donner matière à d’autre réflexion qu’inconvenante. Des années après, on méprise toujours la bonne venue des colonies, tenue de servir vingt-quatre heures sur vingt-quatre (bonne idée que de l’habiller d’un boubou, la rendant encore plus exotique !). Les relations extra-conjugales ne sont guère plus tendres que la vie de couple.
Dans cette mise en scène sans complaisance, Christian Schiaretti prend un malin plaisir à démonter les faux-semblants de la société patriarcale. L’incongruité des propos (une bourgeoise pétomane et un général pédophile) et la légèreté de boulevard avec laquelle tous les sujets sont traités font jaillir le rire où il vaudrait mieux pleurer.
Le décor intelligemment conçu par Fanny Gamet, simplement marqué au sol, évite enfin tout ce qui pourrait enfermer les personnages. Ils vivent à vue. Rien n’est caché, ni les toilettes ni la chambre à coucher. Même la télévision dresse son écran transparent entre les acteurs et le public. À mesure que la bienséance craque, le sol se fendille et s’écarte comme sous l’effet d’un véritable tremblement de terre. Ce dont il s’agit effectivement ! ¶
Trina Mounier
Victor ou les enfants au pouvoir, de Roger Vitrac
Mise en scène : Christian Schiaretti
Avec : Olivia Balazuc, Olivier Borle, Philippe Dusigne, Ivan Hérisson, Safourata Kaboré, Kenza laala, Clémence Longy, David Mambouch, Corinne Martin, Juliette Rizoud
Photo © Michel Cavalca
Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon •69100 Villeurbanne
Du 7 au 30 mars 2019 à 20 heures, le jeudi à 19 h 30, le dimanche à 15 h 30, relâche le lundi
Réservations : 04 78 03 30 00
Durée : 2 heures
De 9 € à 25 €