« Arctique », d’Anne-Cécile Vandalem, la FabricA à Avignon

« Arctique » d’Anne-Cécile Vandalem © Christophe Raynaud de Lage

Un voyage hasardeux 

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

Après « Tristesses » qui s’intéressait à la montée des nationalismes, « Arctique » traite du réchauffement climatique, à travers une dystopie dont l’esthétique flirte avec le grotesque.

Le sujet de la pièce témoigne de la fascination de l’autrice pour le Groenland, véritable « réservoir à fantasmes », de son exploration d’un motif cher, l’isolement, et de son intérêt croissant pour la chose politique.

L’action se situe en 2025 sur un navire de croisière fantomatique, aux allures de Titanic. Le décor est fascinant : sur la scène, un grand salon froid et clos, baignant dans une fumée verdâtre et, hors-champ, le reste du bateau. L’Arctic Serenity, en rade depuis son inauguration en 2017 après un étrange accident, est tracté jusqu’au Grand Nord pour être transformé en luxueux hôtel.

À bord, une jeune fille et un vieux passeur, horrifant et acariâtre, accueillent des passagers clandestins : la jeune femme les a fait venir pour se venger de la mort de sa mère, survenue le jour de la catastrophe. Cette dernière appartenait à une organisation écologiste reconnue coupable de sabotage (le navire avait heurté une plateforme pétrolière). Tous les protagonistes sont donc liés à cette sombre histoire où s’emboîtent intérêts politiques et économiques.

Le sous-texte de cette fiction d’anticipation policière est passionnant. Au travers des personnages (politiciens, journaliste, Inuit et femme d’investisseur), elle interroge les conséquences du réchauffement climatique au Groenland : la fonte des glaces rend accessible le passage Nord-Ouest jusque là réservé à des explorateurs mythiques ; des richesses sont découvertes dans les sols, lesquels attirent des sociétés d’investissement du monde entier. Circulations et extractions accélèrent les dégâts naturels et humains ; paradoxalement, ils enrichissent le Groenland et ravivent son rêve d’indépendance. Les Inuits, peuple de pêcheurs, font donc face à la concurrence des mineurs chinois : ils sont déplacés, acculturés et certains sombrent dans la déchéance. Sans parler des blessures de l’environnement arctique, jadis préservé.

« Arctique » d’Anne-Cécile Vandalem © Christophe Raynaud de Lage
« Arctique » d’Anne-Cécile Vandalem © Christophe Raynaud de Lage

Entre fascination et irritation

Pour orienter notre regard sur le plateau, Anne-Cécile Vandalem utilise finement la camera en live. Elle nous promène avec maîtrise dans les couloirs labyrinthiques de ce Minotaure maritime : dans la salle des radios, la cale, le pont, les chambres à l’abandon, les passages et recoins obscurs du navire de croisière décrépit. Elle nous plonge aussi dans les cauchemars et les traumas des personnages. Lorsqu’un orchestre apparaît en fond de scène, modulant une atmosphère onirique, on est encore conquis : la voix envoûtante d’Epona Guillaume entonne Anyone who knows what love is (will understand) pour nous hypnotiser et nous questionner. À ce stade, déjà, les références hétérogènes affluent : le Crime de l’Orient Express, Titanic, Shinning, Twin Peaks, la série danoise Borgen… Mais pourquoi pas ?

Peu à peu, pourtant, le mélange des registres progresse excessivement : le suspense du thriller cohabite avec le fantastique, des répliques de comédie, des scènes de drame et du gore. Anne-Cécile Vandalem a beau affirmer – avec pertinence – que toutes ces tonalités coexistent dans la vie, leur fusion dans cette forme théâtrale pose problème. Les comédiens sont convaincants, la scénographie demeure riche et mystérieuse, mais tant d’éléments disparates nuisent à l’écriture.

Par exemple, on voit défiler un ministre déguisé un explorateur anachronique, le fantôme d’un capitaine tout droit sorti de la Croisière s’amuse et, comble du comble, un ours polaire géant digne de Lost ! Dans un film, on « croirait » aisément à tout cela – la fascination des images aidant. Mais là, la présence réelle des corps sur le plateau souligne la caractère grotesque, voire ridicule, de certaines situations. Dès lors, on reste sur le port, intrigué et agacé, observant cette aventure maritime que l’on aurait voulu plus glaçante.

Lorène de Bonnay


Arctique, d’Anne-Cécile Vandalem

Mise en scène : Anne-Cécile Vandalem

Avec : Frédéric Dailly, Guy Dermul, Éric Drabs, Véronique Dumont, Philippe Grand’Henry,
Epona Guillaume, Zoé Kovacs, Gianni Manente,
Jean-Benoît Ugeux, Mélanie Zucconi

Durée : 2 h 10

Photo  ©  Christophe Raynaud de Lage

La FabricA • 11, rue Paul-Achard • 84000 Avignon

Dans le cadre du Festival d’Avignon

Réservations : 04 90 14 14 14

Du 18 au 24 juillet 2018 à 18 heures

De 10 € à 30 €

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