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« Cendrillon », de Joël Pommerat, Ateliers Berthier à Paris

Cendrillon © C. C.

Pommerat, un fouilleur de mots

Par Lise Facchin
Les Trois Coups

On croyait connaître l’histoire de Cendrillon. On se trompait. Invité de la saison théâtrale de L’Odéon, Joël Pommerat s’empare du conte et fait jaillir, dans une mise en scène qui vole à la manière d’un funambule sur sa corde, la parole et ses pouvoirs effroyables. Tant de cruauté… les enfants adorent.

Tout part d’une erreur. Une erreur d’interprétation. La mère de Sandra, très malade, est si faible que ses paroles ne sont qu’un murmure que « la très jeune fille qui avait beaucoup d’imagination » interprète. Un jour, on lui dit que sa maman a quelque chose de très important à lui dire et que ce sera probablement la dernière fois qu’elle pourra la voir. Alors, elle se promet d’être encore plus concentrée qu’à l’accoutumée. Ce qu’elle entend alors : « Ma chérie, pense à moi, tant que tu penseras à moi, je ne pourrais pas vraiment mourir », va orienter toute sa vie. Elle se fait offrir une montre qui sonne régulièrement pour qu’aucune minute ne s’écoule sans penser à sa mère.

La suite, nous la connaissons mieux, il n’est donc pas nécessaire de s’étendre. Mais les personnages ont tous leur complexité : lâche, incompris et floué, le père fume ; l’horrible belle-mère reçoit des chirurgiens plasticiens en secret et s’invente une histoire d’amour avec le très jeune prince ; la fée s’ennuie dans son éternité et essaie d’apprendre la prestidigitation ; le roi, depuis dix ans, cache la mort de sa mère à son jeune fils qui tous les soirs attend l’appel téléphonique promis…

L’histoire est racontée par deux médias : une voix de femme enregistrée et une sorte de chorégraphie donnée sur la scène par un homme. Ces deux vecteurs opèrent comme le sous-titre de l’autre, brouillant les frontières de la parole originelle. À mesure que la narratrice parle, des mots apparaissent sur le mur du fond où un ciel nuageux est projeté. Le mot « parole » est dans les premiers. Elle ne sait plus, cette femme, si l’histoire qu’elle raconte est la sienne ou non. D’ailleurs, elle ne sait plus utiliser la parole, marquée par le pouvoir performatif des mots. Elle parle avec des gestes.

Régulièrement, elle revient poursuivre la narration. Son léger accent italien ajoute une matière à laquelle s’accrochent inévitablement des oreilles de Français, en dérangeant leurs habitudes auditives, qui écoutent alors avec une attention particulière. Les mots, justement, sont entendus de manière plus brute, sans la patine de l’usage.

De l’harmonie des masses

D’aucuns détestent les pièces sonorisées, et il faut bien reconnaître que l’amplification et les bandes sonores sont souvent les cache-misère d’une indigence théâtrale. Pour Cendrillon et, plus généralement, pour les mises en scène de Pommerat, c’est une critique qu’on ne peut formuler tant l’équilibre ne bascule jamais. En funambule, le metteur en scène dose les effets sans jamais lasser son spectateur ni lui outrager les sens. Lumière, vidéo, musique sont les outils d’une esthétique pétrie de sobriété, d’élégance et de contemporanéité. Certaines références viennent à l’esprit : comment, par exemple, ne pas penser à Mon oncle de Jacques Tati devant la maison en verre « très moderne ! » qu’habitent l’atroce belle-mère et ses deux filles ?

Toujours sous le signe de la justesse, la scénographie est si riche que l’on ne la voit pas. Comme un visage de femme bien fardé, celle-ci souligne les grâces du texte et des moments de théâtre, tantôt drôles tantôts inquiétants, voire franchement tristes, qui jalonnent la pièce. De l’incroyable maison de verre aux couloirs figurés (quelle intelligence !) avec les encadrements de lumière au sol par les portes ouvertes, en passant par la boîte à magie de la fée, grand rideau au doux tintement de cristal, la scénographie se construit par le vide. Non. En fait, elle se construit par l’espace immense que les comédiens occupent par leur jeu. Car ce sont eux qui habitent la scène et rendent cette science du décor si juste et belle, par l’influence des corps et des voix sur l’espace. Les vides et les masses se constituent par l’expérience sensible.

Une parole qui déchire sans cruauté

Si Joël Pommerat est un homme de théâtre, c’est aussi, indubitablement, un fouilleur de mots. Son style est une évidence capturée entre cruauté et simplicité. Encore une fois, il semble construire par le vide, en un élagage des formes attendues et des inutiles ronds de jambe dont se parent les phrases les plus banales. Enlever l’écorce pour atteindre l’endroit chaud où le sang afflue et palpite.

C’est comme si, loin des enveloppes plus ou moins dignes, les mots étaient pour Joël Pommerat des signifiants purs, incarnations vaudoues qui, une fois prononcées, frayent leur passage jusqu’à la substance même du spectateur. 

Lise Facchin


Cendrillon, de Joël Pommerat

Mise en scène : Joël Pommerat

Avec : Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Marcella Carrara, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Deborah Rouach, Nicolas Nore et José Bardio

Musique originale : Antonin Leymarie

Costumes : Isabelle Deffin

Décors : Nils Zachariasen

Lumières : Éric Soyer

Son : François Leymarie

Vidéo : Renaud Rubiano

Photo : © C. C.

Ateliers Berthier • angle de la rue Suarès et du boulevard Berthier • 75017 Paris

01 44 85 40 40

Métro : Porte-de-Clichy (ligne 13) et R.E.R. C

Site : www.theatre-odeon.eu

Du 5 novembre au 25 décembre 2011

Durée : 1 h 30

Tarifs : de 6 € à 28 €

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