Au comble du ravissement
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Sous la houlette d’un jeune chorégraphe de 29 ans, les huit danseurs de la compagnie taïwanaise B. Dance livrent une performance époustouflante.
On connaissait la qualité des spectacles proposés chaque été au C.D.C. (centre de développement chorégraphique) des Hivernales. Voici une œuvre qui ne fera pas exception à la règle. Floating Flowers tient le spectateur en haleine pendant une heure d’une formidable richesse. Le chorégraphe Po‑Cheng Tsai s’est inspiré d’une fête religieuse de Taïwan lors de laquelle les habitants déposent sur l’eau de petits lampions. Sur scène, l’évocation frappe en effet au premier coup d’œil, puisque les danseurs, hommes et femmes, revêtent un large tutu blanc à arceaux qui les fait ressembler à de grands nénuphars.
La danse de Po‑Cheng Tsai est à la fois délicate et enfiévrée. Les danseurs multiplient les gracieux mouvements de mains, comme dans les danses d’Extrême-Orient ; de façon générale, le buste et les bras sont extrêmement souples et ondulent, comme les flots. Et ces huit fleurs fragiles sont comme le roseau de la fable, qui plie mais ne rompt pas. Aux instants de calme succèdent en effet des tempêtes rageuses, causées par le flux et le reflux d’une musique obsédante de Rockid Lee. S’y mêlent des sons électroniques, des percussions, des cordes… dans un tourbillon sonore ininterrompu.
Les danseurs, eux, impriment des variations de rythme et d’intensité étonnantes. Autant le haut de leur corps est toujours souple, autant les jambes et les pieds sont davantage dans les petits sauts, la percussion, le piétinement. La danse pieds nus interdit les pirouettes et induit de fait une tournure plus saccadée. Le style devient même parfois tribal, tant la chorégraphie dégage d’énergie pour ce qui semble être quelque rituel. Jusqu’à la dernière seconde, les danseurs s’agitent comme s’ils venaient tout juste d’entrer en scène. Mais ils utilisent aussi leur visage et à l’occasion nous sondent d’un regard profond et interrogateur. Impressionnant.
Totalement poétique et lunaire
Cependant, le plus beau moment du spectacle réside dans un autre registre, non plus tribal, mais totalement poétique et lunaire. Une danseuse immense fait son entrée sur le plateau, et d’elle émane une étrangeté stupéfiante : cet être, qui ressemble pourtant aux autres danseurs, c’est en fait deux corps qui n’en forment plus qu’un, une femme au-dessus d’un homme qui la tient sur ses épaules, mais caché par le tutu. Et ces deux corps s’harmonisent à la perfection, se mouvant d’une drôle de façon. On est au comble du ravissement quand ce n’est plus une, mais quatre de ces créatures qui évoluent sur le plateau. Une idée somme toute très simple, mais exploitée ici avec beaucoup d’intelligence de la part de Po‑Cheng Tsai, mais aussi avec une extraordinaire virtuosité chez les interprètes. Tout cela a l’air tellement facile ! Il y a même parfois une légère pointe d’humour…
L’atmosphère de rituel magique est également entretenue par un superbe travail de lumière. Les danseurs sont tantôt enveloppés dans de suaves lueurs ocre, tantôt dans un noir et blanc quasi expressionniste.
Ce spectacle, présenté pour la première fois en France, serait digne d’être programmé dans les meilleures salles. ¶
Céline Doukhan
Floating Flowers, de Po‑Cheng Tsai
Chorégraphie : Po‑Cheng Tsai
Avec les danseurs de la compagnie B. Dance : Siou‑Kee Kek, Chien‑Chih Chang, Sheng‑Ho Chang, Yuan‑Hao Chang, Chiung‑Tai Huang, I‑Han Huang, Yu Chang, Ming‑Suan Liu
Musique : Rockid Lee
Directeur technique : Ting‑Chung Chang
Régisseuse technique : Yu‑Wen Huang
Photo : © Yi‑Wen Chou
Les Hivernales • 18, rue Guillaume‑Puy • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 82 33 12
Du 10 au 20 juillet 2016 à 20 heures, relâche le 15 juillet
Durée : 1 heure
19 € | 13 € | 7 €