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«  Huis clos » d’après Jean-Paul Sartre, Olivier Rey, le Lavoir public à Lyon

« Huis clos » © Denis Svartz

Sartre, ça déménage !

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

De la pièce de Jean-Paul Sartre, le metteur en scène Olivier Rey propose une adaptation personnelle et fidèle. Ce « Huis clos » rafraîchissant, insolent, intelligent est diablement percutant !

Dans ce cas, le lieu joue un rôle considérable. Situé, comme son nom l’indique, dans un ancien lavoir public laissé dans son jus, le théâtre tout en long est réduit à un bar, une régie technique à vue, un plateau qui permet une disposition bifrontale et de dépendances qui servent de coulisses. À la hauteur des yeux du spectateur, la scène a été montée sur l’imposant banc de pierre qui supportait autrefois les bassines. Deux rangées de chaises en plastique sont coincées entre les pierres et les lessiveuses, derrière. Les contraintes sont fortes mais, comme chacun sait, ces dernières stimulent la créativité ! Olivier Rey n’en manque pas.

Sous sa houlette, Le Lavoir est devenu le lieu des soirées branchées, festives et décalées. Une boule à facettes réfléchissantes, fleurant bon les années 1980, le rappelle. Installée à demeure, elle devient un élément de décor incontournable. Ainsi, ce Huis clos se déroule-t-il dans une boîte de nuit qui ne ferme jamais ses portes (mais ne les ouvre pas non plus). Une sono assourdissante entrave les conversations, propice aux frôlements et aux collisions des corps. Chacun y est sous le regard d’autrui en permanence, comme une chair à séduire, une chair offerte. À trois, bien sûr, le compte n’y est pas.

« Huis clos » © Denis Svartz
« Huis clos » © Denis Svartz

Existentialisme accéléré

Ainsi se retrouvent Garcin (homme falot dont la lâcheté représente le péché mortel, grand consommateur de femmes), Inès (homosexuelle qui a pris plaisir à pousser sa compagne au désespoir) et Estelle (bourgeoise superficielle, condamnée pour infanticide, après le meurtre d’un bébé qui entravait sa liberté). Mais nous ne découvrirons leur secret que peu à peu, car les trois personnages – Johan Boutin (Garcin) et sa grande carcasse longiligne, Marieke Sergent (Inès) à la présence époustouflante, même quand elle n’est pas au centre de la scène, et Pauline Drach (Estelle), étonnante bombe sexuelle, petite boule d’énergie exaspérante – se présentent d’abord hypocritement sous leur meilleur jour. Le triangle, avec ses lignes d’attraction et de répulsion, est en place. Olivier Rey s’est réservé la place du garçon, de l’ouvreur en lien avec les puissances supérieures grâce à son micro cravate, mais aussi le rôle inattendu de Simone de Beauvoir.

Il s’agit bien d’une adaptation. Le metteur en scène a dépoussiéré la pièce, réécrite partiellement avec le vocabulaire et les références d’aujourd’hui : l’écriture dramatique, efficace, ne manque ni d’élégance ni de cohérence; elle révèle la puissance intacte du texte et son humour insoupçonné. Olivier Rey est si fidèle à l’auteur (qu’apparemment il vénère) qu’il se livre, par la bouche d’Inès, à un vrai cours de philosophie existentialiste en accéléré (la liberté, c’est ce qu’on en fait, nous sommes la somme de nos actes, etc.). Il s’offre même un vrai plaisir d’acteur en faisant irruption sur le plateau en peignoir de soie et turban, reconnaissable entre tous : voilà Simone. Elle se met à parler de « Paulo » et à nous offrir quelques échantillons de sa prose, comme dans une de ces « Radioscopies » dont Le Lavoir a le secret. C’est formidablement drôle et juste.

Olivier Rey confirme son grand talent de metteur en scène et de direction d’acteurs. Il prouve aussi ce qu’il peut faire d’un texte classique, avec insolence et respect. Que l’on veuille s’offrir un petit Sartre illustré ou passer un très bon moment de théâtre, sinon les deux en un, il faut aller au Lavoir ! 

Trina Mounier


Huis clos, d’après Jean-Paul Sartre

Création dirigée par Olivier Rey

Avec : Johan Boutin, Pauline Drach, Olivier Rey, Marieke Sergent

Scénographie : John Maistre

Le Lavoir public • 4, impasse Flesselles • 69001 Lyon

09 50 85 76 13

Du 18 au 22 septembre et du 30 octobre au 3 novembre 2017, à 20 heures

Durée : 1 h 20

De 8 € à 10 €

 

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