Du très bon usage de la parole
Par Anne Losq
Les Trois Coups
Chloé Lambert a choisi le thème de la médiation familiale pour bâtir une pièce qui explore des sujets sérieux sur un mode fougueux : personnages plus grands que nature, rythme soutenu et péripéties à la clé. Mais le comique alterne aussi avec le tendre et le poignant, laissant le spectateur à la fois diverti et songeur.
Sur la scène exiguë du Théâtre de Poche, pleins feux sur quatre individus de chair et d’os, tous tournés – chacun à leur manière – vers Archimède, cet enfant invisible mais bien présent. Symbolisé par une petite chaise, le garçonnet de trois ans, centre de toutes les attentions, suscite des désirs contradictoires. Son nom, inscrit sur le tableau en fond de scène, agit comme une ligne de démarcation, avec son papa d’un côté et sa maman de l’autre. Puisqu’il se trouve lui-même dépourvu de voix, les médiatrices se chargent de parler pour lui ou, à défaut, de veiller à son bien-être. Les parents, eux, tout en insistant sur le fait qu’ils pensent d’abord à leur enfant, révèlent surtout l’étendue de leur insécurité.
Puisque la médiation opère suite à un désaccord, les esprits sont forcément échauffés et fébriles. Au début de la pièce, les déplacements des acteurs paraissent d’ailleurs un brin trop anarchiques. L’on assiste à un ballet de corps allant d’une chaise à l’autre, ne pouvant se résoudre à l’immobilité. Avec ces va-et-vient, le metteur en scène souhaitait sans doute montrer à quel point les ego et les angoisses de ce petit monde prennent bien plus de place que ne peut contenir le lieu. Mais il en résulte aussi un sentiment de désorganisation généralisée, ne permettant pas au spectateur de cerner posément les tenants et les aboutissants de l’histoire.
Heureusement, une maîtresse de cérémonie apparaît pour calmer le jeu. Il s’agit de la médiatrice plus âgée qui, grâce à son ton apaisant, s’efforce d’amorcer un dialogue entre les deux parties. Raphaëline Goupilleau, dans le rôle d’Isabelle, assoit (au sens propre comme au figuré) les âmes excitées. Sa voix – rauque et douce à la fois… un vrai régal pour l’oreille – et son aura de professionnelle bienveillante nous permettent de pousser un soupir de soulagement : tout n’est pas perdu, la médiation pourrait encore réussir. Malgré les défis, Isabelle reste convaincue que le conflit peut être surpassé par la parole et pour l’intérêt de l’enfant. Sur le plan scénique, les déplacements, eux aussi, se rationalisent peu à peu. Un semblant d’ordre se met en place, avec des transitions soignées entre les scènes.
La démesure des sentiments
Dans le programme, Lambert énonce que ses personnages ont été volontairement conçus comme « excessifs, ridicules, absurdes et violents ». Julien Boisselier, lui, a pleinement intégré cette note d’écriture, à la fois en tant qu’acteur – il joue le rôle du père, Pierre – et en tant que metteur en scène.
Pierre semble en effet être le plus « excessif » des quatre, voire le moins réaliste. Homme puéril, séducteur, chercheur obsessionnel dans un domaine très enfantin – les dinosaures –, il n’apparaît pas du tout comme le père modèle. On aime détester ce géniteur irresponsable et beau parleur. Doté d’une diction limpide, d’un air narquois et sophistiqué, Boisselier campe le personnage avec beaucoup de flamboyance. Peut-être qu’il en fait un peu trop ? Pas sûr, puisque la réussite comique de la pièce repose également sur la caricature et que cet homme-là s’avère finalement être le principal agent burlesque de l’histoire.
Le personnage de la mère détient lui aussi une dimension absurde, mais qui se manifeste différemment de celle de Pierre. Alors qu’Anna fait figure de mère aimante, le vernis craque peu à peu pour laisser place à ses névroses. Impossibilité de lâcher prise, envie de contrôler l’environnement de son fils… Pour preuve, une scène savoureuse dans laquelle elle appelle sa mère et vérifie à coups de petites phrases si tout se passe bien avec Archimède. L’on imagine l’agacement au bout du fil. Puis, la jeune maman déclare, dépitée, que son interlocutrice « a raccroché ». Dans la salle, une personne ne peut s’empêcher de s’exclamer tout haut : « Elle a eu raison ! ».
La sincérité du propos
Face à ces personnages hauts en couleur, le public prend position presque malgré lui dans cette médiation qui, si elle se veut neutre, montre à quel point il est difficile de rester objectif. Chloé Lambert, qui interprète Anna, use de son charme et de sa vulnérabilité de comédienne pour établir l’ambiguïté spécifique au fait d’élever un enfant. Tour à tour compréhensive, hargneuse, frivole, elle incarne les diverses facettes d’une femme qui se cherche et dévoile ses défauts de manière à nous identifier à elle. En miroir, l’on reconnaît notre propre incapacité à faire confiance à l’autre devant des défis importants.
Mais le trio est infiltré par un quatrième élément rédempteur : Jeanne, l’assistante et fille d’Isabelle, agit comme le catalyseur de la thérapie. La comédienne Ophélia Kolb a le don de savoir passer inaperçue jusqu’au moment où elle libère une énergie innocente qui irradie le reste des personnages. Le tableau final, qui met en valeur sa relation avec sa mère, prend le spectateur de court pour sa sincérité et son intensité émotionnelle.
De la comédie satirique, on passe à la figuration d’un conflit émancipateur, du vrai usage de la parole réparatrice. La magie opère et, de cette médiation, l’on ressort éprouvé, mais avec une confiance renouvelée dans les vertus du dialogue. ¶
Anne Losq
la Médiation, de Chloé Lambert
Mise en scène : Julien Boisselier
Avec : Julien Boisselier (Pierre), Raphaëline Goupilleau (Isabelle), Chloé Lambert (Anna), Ophélia Kolb (Jeanne)
Décors : Jean Haas
Lumières : Emmanuel Jurquet
Costumes : Sandrine Bernard
Musique : Christophe La Pinta
Assistant à la mise en scène : Morgan Perez
Photo : © Brigitte Enguérand
Théâtre de Poche-Montparnasse • 75, boulevard du Montparnasse • 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 50 21
Site du théâtre : http://www.theatredepoche-montparnasse.com/
Métro : lignes 4, 6, 12 et 13, arrêt Montparnasse-Bienvenüe
À partir du 8 janvier 2016, du mardi au samedi à 21 heures, le dimanche à 15 heures
Durée : 1 h 45
35 € | 28 € | 10 €
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