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« le Crime de l’orpheline », de Florence Andrieu, Flannan Obé et Philippe Brocard, Théâtre le Ranelagh à Paris

le Crime de l’orpheline © Marie-Clémence David

Du noir et blanc au noir et sang

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

« Le Crime de l’orpheline » dépoussière l’art du grand-guignol et restitue au cinéma muet l’intégralité de sa magie.

Elle récure, elle dégraisse, elle fait briller sans rayer, cette orpheline qui, dès le lever du rideau, brique le carrelage de sa soupente. Comment peut-on être aussi drôle rien qu’en passant la serpillière ? C’est le privilège des comédiens nés, dont Florence Andrieu fait partie. L’orpheline, c’est elle. Et ses tribulations nous sont narrées sur un mode qu’on ne qualifiera pas de burlesque, parce que c’est bien mieux que burlesque. Le talentueux Flannan Obé a travaillé le côté étrange de son propre physique pour lui servir un partenaire en contrepoint. C’est réussi : les deux font la paire. Mention coup de cœur enfin à Jeannette Salvador à qui je décernerai sans hésiter un prix de l’Arlésienne 2016.

L’histoire, au début, est de ces bluettes un peu kitsch qui firent les délices de nos arrière-grands-parents. Une pauvrette élevée par une mystérieuse et tyrannique tutrice aime en secret un beau gars des rues qui lui offre des pâquerettes. Mais la méchante mère adoptive a décidé de marier sa pupille à un désagréable moustachu, prodigue en gerbes de roses et cadeaux de luxe. Ne devine-t-on pas la fin dès la première minute ?

Non, car dès la première minute, il y a quelque chose qui sonne bizarre dans ce spectacle mimico-musical nous entraînant de surprise en surprise. Il n’est pas question ici de gâter le plaisir du spectateur en éventant les coups de théâtre. On se contentera d’évoquer le progressif détournement du mélodrame sentimental en comédie hystérique et trash : pour chaque goutte de Javel versée au début, une goutte d’hémoglobine est offerte à la fin. Le noir et blanc finit dans le noir et sang.

Du grand-guignol au grand art

Vous dont les adolescents ronchonnent que le cinéma sans couleur, c’est ennuyeux et que le muet, c’est préhistorique, menez-les, toutes affaires cessantes, voir comment dans les vieilles marmites on fait les meilleures soupes. C’est le décor de Casilda Desazars d’abord qui vous saute au visage. En cinquante nuances de gris et par une étonnante utilisation de la troisième dimension, elle transpose pour la scène le monde en 2D de la pellicule. On retrouve tout Méliès et tout Chaplin dans cette chambrette. C’est le pianiste Philippe Brocard ensuite, virtuose et plein d’humour, qui plaisante musicalement avec les comédiens chanteurs, eux-mêmes voguant sans cesse du mime au chant et du chant au mime.

C’est ici le point fort du spectacle, on l’aura compris : les acteurs se sont patiemment imprégnés de la gestuelle et de la mimique du muet. La qualité de leur travail d’observation est perceptible dans la qualité de la restitution. Les scènes de cinéma sont à la fois incroyablement véridiques et joyeusement parodiques.

J’avais des réticences, il faut le dire, en lisant l’argumentaire commercial de ce spectacle axé sur le « grand-guignol ». L’expression évoquait pour moi des choses un peu fanées, un comique troupier d’un autre âge, des blagues pas drôles. Ici, elle signifie en fait une mécanique impeccable réglée par deux horlogers méticuleux, Philippe Lelièvre et Marcela Makarova. Reformatez votre disque dur intérieur sur le cinéma de jadis et le grand-guignol de naguère, allez la tête vide de tout préjugé, de préférence un jour morose de pluie sur cafard, assister au Crime de l’orpheline. Quand vous ressortirez du théâtre, vous verrez le monde en Technicolor. 

Élisabeth Hennebert


le Crime de l’orpheline, de Florence Andrieu, Flannan Obé et Philippe Brocard

Mise en scène : Philippe Lelièvre, assisté de Marcela Makarova

Avec : Florence Andrieu, Flannan Obé et Jeannette Salvador

Et Philippe Brocard ou Delphine Dussaux au piano

Décors : Casilda Desazars

Lumières : Philippe Sazerat

Costumes : Eymeric François

Photo : © Marie-Clémence David

Théâtre le Ranelagh • 5, rue des Vignes • 75016 Paris

Métro : La Muette (ligne 9) ou Passy (ligne 6)

Du 1er avril au 18 juin 2016, du mardi au samedi à 20 h 30 et à 17 heures le dimanche, relâche les 12 et 30 avril, les 1er, 20, 24 et 29 mai et le 11 juin

Tarifs : de 35 € à 10 €

Durée : 1 h 15

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