« le Journal d’une femme de chambre », d’après Octave Mirbeau, le Lucernaire à Paris

« Le Journal d’une femme de chambre » © Alexandre Dujardin

Du roman à scandale
au vaudeville
sans envergure

Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups

Philippe Person met en scène une adaptation du « Journal d’une femme de chambre », roman à scandale d’Octave Mirbeau paru en 1900 : rien de sulfureux ou d’inquiétant dans ce spectacle, comédie légère et insignifiante.

Nous sommes en 1974. Célestine, qui a été femme de chambre chez des grands bourgeois, vient de publier son journal. C’est à ce titre qu’elle intervient dans une émission télévisée. Elle est installée à jardin, dans un confortable fauteuil, à côté d’une table où trônent ses ouvrages. Au fur et à mesure qu’elle évoque ses anciennes places, des personnages qu’elle a côtoyés autrefois, tous interprétés par Philippe Person, apparaissent à cour : M. Lanlaire, son dernier maître ; Joseph, le jardinier des Lanlaire ; le Capitaine Mauger, le voisin de ces derniers. Florence Le Corre-Person, dans le rôle de Célestine, va et vient entre son présent d’écrivain et son passé de domestique, imitant parfois aussi ses maîtresses.

Le roman est transposé dans les années 1970 de manière évidente. Le décor mobile qui occupe la scène à cour présente trois lieux distincts, chacun étant associé à un personnage masculin. Le papier peint aux couleurs kitsch, la musique (chansons de Claude François, Michel Sardou ou Michel Delpech) ou encore un extrait du débat entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing ne laissent aucun doute sur la question.

On peut s’interroger sur la légitimité de ce choix de mise en scène. En effet, il est clair que la France des années 1970 diffère à bien des égards de celle de 1900 : la place des domestiques n’est pas la même, l’antisémitisme n’a pas le même sens… La Célestine de 1900 n’aurait pu publier son ouvrage… En situant la pièce à la fin des Trente Glorieuses, Philippe Honoré et Philippe Person défendent l’idée que la société n’aurait finalement pas vraiment évolué depuis le début du siècle : en 1974, les hiérarchies sociales seraient encore déterminantes et les inégalités trop fortes.

Certes, mais alors, pourquoi ne pas avoir situé le spectacle dans la société actuelle ? Ne serait-il pas plus « politique », terme revendiqué par les créateurs du spectacle, de s’interroger sur la fracture sociale dans la France des années 2000 ? L’anachronisme de la mise en scène semble donc plus une affaire d’esthétique que le produit d’une réflexion politique ou sociale.

De la « galerie de personnages » au défilé des marionnettes

Dans sa note d’intention, Philippe Person évoque une « formidable galerie de personnages ». Il campe ainsi trois rôles masculins différents : M. Lanlaire, Joseph et le Capitaine Mauger. Tous trois sont de véritables caricatures. Lanlaire et Mauger portent d’épaisses perruques grisonnantes et sont caractérisés par des tics de bouche, qui, avec le décor et la musique qui leur sont associés, les différencient clairement. On pourrait imaginer qu’il s’agit, pour le metteur en scène, de dénigrer les puissants. Joseph, le jardinier qui conquiert sa liberté, serait un homme plus authentique (et sans perruque). Pourtant, il est lui aussi traité de manière outrée, toujours muni d’un fusil, pour rappeler – sans subtilité – sa violence.

Ces fantoches ridicules font sourire, certes, mais ils n’ont rien d’effrayant. Or, si le roman d’Octave Mirbeau fit scandale, c’est parce que tous les protagonistes sont des monstres, incarnation de sa détestation du monde, de sa haine du genre humain : M. Lanlaire n’est pas seulement un pantin dont les mi-bas tirebouchonnent sur la cheville quand il écoute la radio, c’est un prédateur, qui viole de très jeunes filles ; Mauger n’est pas un sémillant retraité qui plante des fleurs en se trémoussant sur des tubes yéyé, c’est un manipulateur qui traite les femmes comme des objets. Ne parlons pas de Joseph, qui est sans doute un criminel… Cela, l’histoire ne le dit pas parce que le romancier, lui, laisse planer le mystère et construit des personnages ambigus.

De manière cohérente, Florence Le Corre-Person incarne une Célestine légère, qui semble accepter avec un détachement amusé les remarques de ses maîtres, sans en souffrir. Elle se plaît ainsi à les imiter et à en faire un portrait satirique, mais pas assassin.

Le programme présente la pièce comme une « comédie politico-érotico-policière ». Malheureusement, la question politique est éludée du fait du manque de justification de la transposition dans les années 1970. La dimension érotique, elle, ne peut émerger à cause du jeu caricatural des acteurs. Par exemple, Célestine devrait hésiter entre l’attirance physique et la peur quand elle est avec Joseph, mais ce déchirement ne se lit pas dans ces postures monolithiques. Quant à l’intrigue policière, il est difficile de s’y intéresser quand les personnages la négligent : différentes hypothèses sont évoquées sans qu’aucune soit retenue ou développée. Il reste donc une comédie, assez insignifiante. 

Anne Cassou-Noguès


le Journal d’une femme de chambre, d’après Octave Mirbeau

Cie Philippe-Pierson

Mise en scène : Philippe Person

Librement adapté par : Philippe Honoré

Avec : Florence Le Corre-Person (Célestine) et Philippe Person (Joseph, M. Lanlaire, le Capitaine Mauger)

Lumières : Alexandre Dujardin

Décor : Vincent Blot

Photo : © Alexandre Dujardin

Le Lucernaire • 53, rue Notre-Dame-des-Champs • 75006 Paris

Réservations : 01 45 44 57 34

Site du théâtre : www.lucernaire.fr

Du 29 août au 31 octobre 2015, à 18 h 30, du mardi au samedi

Durée : 1 h 5

26 € | 21 € | 16 € | 11 €

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