Un ours à adopter : Laurent Hugny
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups
Nouvelle exploration de la planète Visniec au Ciné 13 Théâtre qui lui consacre un cycle. Cette fois, c’est d’amour qu’il s’agit avec « l’Histoire des ours pandas racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort », mise en scène par Salomé Lelouch, la maîtresse des lieux. Des variations sur le couple un peu sèches.
Un homme, une femme, trois fois rien. Ou plutôt trois fois trois, puisque nos amoureux se donnent neuf nuits pour se connaître. Ils commencent par se rencontrer dans un lit, sans qu’on sache s’ils y ont fait l’amour. « Elle » est un tantinet compliquée. À moins que ce ne soit cette histoire. Comme elle l’aime, elle doit le quitter. Comme elle ignore si elle reviendra, il lui donne sa clé. Comme ils entendent les autres, ils les ignorent. Et ainsi de suite.
Même si je m’efforce de ne pas comparer cette œuvre de jeunesse (1998) avec les suivantes, force est de constater qu’il y a dix ans Matéï Visniec se cherchait encore. Du moins dans la construction de ses univers, tous faits de ce rêve mâtiné d’absurde qu’il affectionne. Ils exigent une rigueur qui fait ici souvent défaut. Ainsi cette Écume des jours en feuilleton est-elle d’un intérêt tout relatif pour ce qui est de l’action, même intérieure. Que se passe‑t‑il en Elle ? En « Lui » ? Entre Elle et Lui surtout ? Mystère et boule de cristal !
Alors ? Une fête du langage à la Dubillard ? Non. À la Queneau ? Non plus. Ça part un peu dans tous les sens. Du coup, on se perd en conjectures plus ou moins loufoques. Un coup, on est sûr d’avoir trouvé : Elle, en fait, c’est sa mort ; elle va le bousiller, ça va être affreux. L’instant d’après, on se raisonne : non, elle aime le yaourt, parle de passer l’aspirateur ! Comme dans Un poisson nommé Wanda, Elle fond quand il cite Baudelaire et joue du saxophone. C’est Jean‑Sully Ledermann qui fait ce « double à musique », sans que ça ne nous aide beaucoup. Et s’ils étaient morts tous les deux ?… Non, ce n’est pas cela non plus.
Le « cadeau » qu’elle lui fait n’arrange rien : ces animaux invisibles qui se reproduisent, fécondés par la lumière… Les sentiments ? Les soucis ? Leurs enfants imaginaires ? Le Français est trop cartésien. Possible. N’empêche qu’il se demande si ces deux-là s’aiment. Et je lui donne raison, au Français ! En tout cas, cette pièce parle de la solitude et de la misère sexuelle. Pourquoi ne pas nous les montrer ? Au lieu de se cantonner dans son rôle de maîtresse d’école, Elle irait vers lui, lui prendrait la main et la ferait aller sur son visage, ses cheveux… Ce genre de choses.
Voyez tout de suite les jolies scènes dès qu’Elle ose aimer. Celle où elle lui désapprend à parler : ah, ces « Ah » ! Cette autre (la sixième nuit), aussi, où, puisqu’il déplore son absence, elle est là. Il suffirait d’un rien pour que cette bouteille à la mer parvienne à son destinataire. « À vous tous qui passez la voie, voyez s’il est douleur fors que la mienne ! » chante Tristan. Comme lui, Visniec s’adresse à tous les amoureux. « Il faut que tu apprennes à écouter le silence » lui conseille, malicieuse, cette belle qui n’a peut-être jamais existé. Une œuvre difficile, en fait.
Alexandra Chouraqui joue fort bien, mais, comme beaucoup d’actrices de sa génération, craint d’en faire trop. Nom d’une Aphrodite, allez‑y les filles ! Comment croyez-vous qu’on aime quand on aime ?! Je pose la question, mais au fond je n’en sais rien. C’est peut-être pour ça aussi qu’on va au théâtre. Laurent Hugny est pourtant craquant. Quel phénoménal interprète ! Un jeu simple et direct à la Bourvil, on en mangerait. Ses rêves d’enfant, ses fantasmes d’ado, sa solitude de vieux garçon emplissent tout à coup l’espace de leurs présences invisibles.
Et les ours pandas dans tout ça ? Comme la Cantatrice chauve : ils se coiffent toujours de la même façon. ¶
Olivier Pansieri
l’Histoire des ours pandas racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort, de Matéï Visniec
Mise en scène : Salomé Lelouch
Avec : Alexandra Chouraqui, Laurent Hugny, Jean‑Sully Ledermann (saxophone)
Assistants à la mise en scène : Gaëlle Bourgeois, Benjamin Gauthier
Scénographie : les frères Mahon
Production P’tite Peste
Ciné 13 Théâtre • 1, avenue Junot • 75018 Paris
Métro : Abbesses, Lamarck-Caulaincourt
Réservations : 01 42 54 15 12
Les 8, 9, 11, 17, 23, 24 octobre 2008 et le 1er novembre 2008 à 20 heures, le 26 octobre 2008 à 21 h 30
Durée : 1 h 15
25 € | 15 €